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immédiats de la guerre ; nous devons encore nous préoccuper du lendemain... J’attache le plus grand prix au maintien de notre alliance. L’œuvre, que nous voulons accomplir et qui nous a déjà coûté tant d’efforts, ne sera durable que si nous restons unis. Et puisque nous avons conscience de travailler pour la paix du monde, il faut que notre œuvre soit durable.

Tandis qu’il énonce cette conclusion évidente et nécessaire de notre long dialogue, je vois repasser dans ses yeux la lueur de mysticisme qui les éclairait, il y a quelques minutes. Son aïeul Alexandre Ier devait avoir cette expression fervente et illuminée, quand il prêchait à Metternich et Hardenberg la Sainte-Alliance des Rois contre les peuples. Mais, chez l’ami de Mme de Krudener, il y avait de l’affectation théâtrale, une sorte d’exaltation romantique. Chez Nicolas II, la sincérité est absolue ; son émotion cherche bien plutôt à se contenir qu’à se traduire, à se voiler qu’à se mettre en scène.

L’Empereur se lève, m’offre encore une cigarette et, d’un air dégagé, du ton le plus amical, il me dit :

— Ah ! mon cher ambassadeur, nous aurons de grands souvenirs en commun. Vous rappelez-vous ?...

Et il me rappelle les préludes de la guerre, la semaine angoissante qui s’est écoulée du 25 juillet au 2 août ; il en évoque les moindres détails ; il revient de préférence aux télégrammes personnels qu’il a échangés avec l’empereur Guillaume :

— Pas un instant, il n’a été sincère !... Il a fini par s’embrouiller lui-même dans ses mensonges et ses perfidies... Ainsi, avez-vous jamais pu vous expliquer le télégramme qu’il m’a envoyé, six heures après m’avoir fait remettre sa déclaration de guerre ?... Ce qui s’est passé là est réellement incompréhensible. Je ne sais plus si je vous l’ai raconté... Il était une heure et demie du matin, le 2 août. Je venais de recevoir votre collègue d’Angleterre, qui m’avait apporté un télégramme du roi George, me suppliant de faire tout le possible pour sauver la paix ; j’avais rédigé, avec sir George Buchanan, la réponse que vous connaissez et qui se terminait par un appel au concours armé de l’Angleterre, puisque la guerre nous était imposée par l’Allemagne. Aussitôt Buchanan parti, je me suis rendu dans la chambre de l’Impératrice, qui était déjà au lit, pour lui montrer le télégramme du roi George et boire une