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Sur ces mots, il se tait une minute, les sourcils froncés, les paupières demi-closes, comme s’il se récitait intérieurement ce qu’il va me dire. Il jette enfin un bref regard vers le portrait de son père, appendu derrière moi, puis il continue :

— C’est en Allemagne surtout que de grands changements se produiront. Comme je vous l’ai dit, la Russie s’annexera les territoires de l’ancienne Pologne et une partie de la Prusse orientale. La France reprendra certainement l’Alsace-Lorraine et s’étendra peut-être même sur les Provinces rhénanes. La Belgique devra recevoir, dans la région d’Aix-la-Chapelle, une importante augmentation de territoire ; elle l’a bien méritée ! Quant aux colonies allemandes, la France et l’Angleterre se les partageront, à leur gré. Je souhaite enfin que le Sleswig, y compris la zone du canal de Kiel, soit restitué au Danemark... Et le Hanovre ? Ne conviendrait-il pas de le reconstituer ? En interposant un petit État libre entre la Prusse et la Hollande, nous consoliderions beaucoup la paix future. Car c’est là ce qui doit être notre pensée directrice... Notre œuvre ne sera justifiée devant Dieu et devant l’histoire que si elle est dominée par une idée morale, par la volonté d’assurer pour un très long temps la paix du monde.

En articulant cette dernière phrase, il s’est redressé sur son fauteuil ; sa voix tremble un peu, d’une émotion solennelle, religieuse ; une flamme étrange illumine son regard. Visiblement, sa conscience et sa foi sont en jeu. Mais, dans son attitude, dans son expression, nulle pose ; une simplicité parfaite.

— Alors, dis-je, c’est la fin de l’Empire allemand ?

Il répond, d’un accent ferme :

— L’Allemagne s’organisera comme elle voudra ; mais la dignité impériale ne saurait être maintenue dans la maison des Hohenzollern. Il faut que la Prusse redevienne un simple royaume... N’est-ce pas votre avis, mon cher ambassadeur ?

— L’Empire allemand, tel que les Hohenzollern l’ont conçu, fondé et gouverné, est si manifestement dirigé contre la nation française, que je ne plaiderai certes pas sa cause. Ce serait pour la France, une grande sûreté si les forces du monde germanique n’étaient plus réunies dans la main de la Prusse...

Voilà plus d’une heure que l’entretien dure. Après une courte réflexion et comme un effort de mémoire, l’Empereur me dit :

— Nous ne devons pas songer seulement aux résultats