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d’avance toutes celles que la France et l’Angleterre croiront devoir formuler dans leur intérêt particulier.

— Je remercie Votre Majesté de cette déclaration, je suis certain que, de son côté, le Gouvernement de la République accueillera dans l’esprit le plus sympathique les désirs du Gouvernement impérial.

— Cela m’encourage à vous confier toute ma pensée. Mais je ne vous parlerai qu’à titre personnel. Car je ne veux pas trancher de pareilles questions sans avoir pris conseil de mes ministres et de mes généraux.

Il rapproche son fauteuil du mien, étale une carte d’Europe sur le guéridon qui nous sépare, allume une autre cigarette et, d’un ton plus intime, plus abandonné, il continue :

— Voici à peu près comment je me représente les résultats que la Russie est fondée à espérer de la guerre et sans lesquels mon peuple ne comprendrait pas les sacrifices que je lui ai imposés... Dans la Prusse orientale, l’Allemagne devra consentir une rectification de frontière. Mon état-major voudrait que cette rectification s’étendit jusqu’aux bouches de la Vistule ; cela me parait excessif ; j’examinerai. La Posnanie et peut-être une fraction de la Silésie seront indispensables à la reconstitution de la Pologne. La Galicie et la partie septentrionale de la Bukovine permettront à la Russie d’atteindre sa limite naturelle, les Carpathes... En Asie-Mineure, j’aurai naturellement à m’occuper des Arméniens ; je ne pourrais vraiment pas les replacer sous le joug turc. Devrai-je annexer l’Arménie ? Je ne l’annexerai qu’à la demande expresse des Arméniens. Sinon, je leur organiserai un régime autonome. Enfin, je serai obligé d’assurer à mon Empire le libre passage des Détroits.

Comme il s’arrête sur ces mots, je le presse de s’expliquer. Il poursuit :

— Mes idées sont encore loin d’être arrêtées. La question est si grave !... Il y a pourtant deux conclusions auxquelles je reviens toujours. La première, c’est que les Turcs doivent être expulsés d’Europe ; la seconde, c’est que Constantinople doit être désormais une ville neutre, avec un régime international. Il va de soi que les Musulmans recevraient toute garantie pour le respect de leurs sanctuaires et de leurs tombeaux. La Thrace septentrionale, jusqu’à la ligne Enos-Midia, serait dévolue à la Bulgarie. Le reste, depuis cette ligne jusqu’au rivage