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n’en ai pas d’autres... Laissez-moi prendre encore mes cartes... Et maintenant, causons.

Ayant allumé sa cigarette et m’ayant offert du feu, il entre au vif du sujet :

— Depuis trois mois que je ne vous ai vu, de grands événements se sont accomplis. L’admirable armée française et ma chère armée ont déjà donné de telles preuves de valeur que la victoire ne peut plus nous échapper... Certes, je ne me fais aucune illusion sur les épreuves et les sacrifices que la guerre nous imposera encore ; mais, dès à présent, nous avons le droit, nous avons même le devoir de nous concerter sur ce que nous aurions à faire, si l’Autriche ou l’Allemagne nous demandait la paix. Remarquez en effet que l’Allemagne aurait tout intérêt à traiter, alors que sa force militaire est encore redoutable. Quant à l’Autriche, n’est-elle pas déjà très épuisée ? Que ferions-nous donc, si l’Allemagne ou l’Autriche nous demandait la paix ?

— Une question primordiale, dis-je, est de savoir si la paix pourra être négociée, si nous ne serons pas obligés de la dicter à nos ennemis... Quelle que soit notre modération, nous devrons évidemment réclamer aux Empires centraux des garanties et des réparations telles qu’ils ne s’y résigneront pas avant d’être réduits à merci.

— C’est ma conviction. Nous devrons dicter la paix et je suis résolu à poursuivre la guerre jusqu’à l’écrasement des Puissances germaniques. Mais je tiens essentiellement à ce que les conditions de cette paix soient délibérées entre nous trois, France, Angleterre et Russie, entre nous trois seuls. Donc, pas de congrès, pas de médiation. Puis, quand l’heure sera venue, nous dicterons à l’Allemagne et à l’Autriche notre volonté.

— Comment, Sire, concevez-vous les conditions générales de la paix ?

Après un instant de réflexion, l’Empereur reprend :

— Ce que nous devons nous proposer par-dessus tout, c’est la destruction du militarisme germanique, c’est la fin du cauchemar dans lequel l’Allemagne nous fait vivre depuis plus de quarante ans. Il faut enlever au peuple allemand toute possibilité de revanche. Si nous nous laissons apitoyer, ce sera une nouvelle guerre à brève échéance... Quant aux conditions précises de la paix, je m’empresse de vous dire que j’approuve