Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tsar autocrate de toutes les Russies. Le Directeur des Cérémonies, Evréïnow, m’accompagne, tout chamarré d’or également.

A Tsarskoïé-Sélo, de la gare au Palais Alexandre, la distance est courte, moins d’une verste. Dans l’espace vide qui précède le parc, une petite église du style médiéval élève sur la neige ses coupoles charmantes ; c’est un des oratoires préférés de l’Impératrice.

Le Palais Alexandre m’est révélé sous son aspect intime : le cérémonial est réduit au minimum. Mon cortège se compose exclusivement d’Evréïnow, d’un fourrier de la Cour en petite tenue et d’un coureur avec son costume pittoresque du temps de la tsarine Élisabeth, la toque chargée de grandes plumes rouges, noires et jaunes. On me fait traverser les salons de réception, puis le salon particulier de l’Impératrice, puis un long couloir qui dessert les appartements privés des souverains et dans lesquels je croise un domestique en livrée très simple, portant un plateau de thé. Plus loin, débouche un petit escalier intérieur qui mène aux chambres des enfants impériaux ; une camériste s’esquive, en haut, sur le palier. A l’extrémité du couloir, est un dernier salon, où se tient le prince Pierre Mestchersky, aide de camp de service. J’attends là, une minute à peine. L’Éthiopien, aux vêtements bariolés, qui monte la faction devant le cabinet de Sa Majesté, ouvre presque aussitôt la porte.

L’Empereur m’accueille avec la bienveillance affable et un peu timide qui lui est propre.

La pièce, où il me reçoit, est de dimension modeste ; une seule fenêtre. Le mobilier est confortable et sobre : des fauteuils de cuir sombre, un divan recouvert d’un tapis persan, un bureau et des casiers rangés avec un ordre minutieux, une table chargée de cartes, une bibliothèque basse que surmontent des portraits, des bustes, des souvenirs de famille.

Comme d’habitude, l’Empereur hésite dans ses premières phrases, qui sont toutes de courtoisie et d’attention personnelles ; mais bientôt il s’affermit :

— D’abord, installons-nous et asseyons-nous bien à l’aise ; car je vous retiendrai longtemps. Prenez ce fauteuil, je vous prie... Avec ce guéridon entre nous deux, nous serons mieux encore... Voici des cigarettes ; ce sont des turques. Je devrais d’autant moins les fumer qu’elles m’ont été données par mon nouvel ennemi, le Sultan ; mais elles sont délicieuses et puis je