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la musique et la pièce. Allons maintenant à la musique même, à la seule musique, et allons-y bravement. On ne saurait la traiter avec trop de rigueur.

Il nous fut rarement donné d’en ouïr de plus mauvaise, où plus de fracas non pas succède, mais se joigne à plus de confusion. Jamais le « vacarme contemporain » dont se plaint notre correspondant n’a sévi de plus constante et plus cruelle façon. Le « tout à l’orchestre » est le principe et la fin de ce tintamarre. Et quel « tout ! » Une pâte épaisse, une masse informe, sans force également, sans âme, sans pensée et sans vie. Quel orchestre aussi ! qui joue, — si cela s’appelle jouer, — toujours et tout entier, sans discernement comme sans relâche. Par exemple aurait-on jamais cru qu’une vente de charité pût mener un tel bruit et donner à ce degré la sensation d’une foire ! Ailleurs (acte III) est-il nécessaire, ou raisonnable seulement, que deux dames, rendant visite à une troisième, se fassent accompagner, — et quand je dis accompagner, c’est plutôt écraser, — par des trompettes ! Assourdi par leurs éclats incongrus, je me rappelais ce brave homme de maître Bernard, disant à sa femme, dans la Carmosine de Musset, quelque chose comme ceci : « Quand vous m’avez épousé, dame Pâque, il n’y avait point là de trompettes. » Il y en a partout ici, des trompettes, et bien d’autres instruments encore, tous les autres instruments, ensemble. Un style musical est en train de se perdre, chez la plupart de nos musiciens : le style de la simple conversation, de la causerie familière, un peu surveillée seulement, et, comme on disait à Florence, au XVIIe siècle, le favillar in musica. Le pire des mélodrames y pouvait cependant prêter, par moments. Au second acte, pendant une visite encore, quelques personnes réunies chez le prince et le prince lui-même s’entretiennent d’art et de bibelots japonais. Mais grand Dieu, sur quel ton ! Quelles paroles d’abord, et puis et surtout quelle musique, hachée, disloquée, écartelée par des intervalles saugrenus, aussi contraires au sens des mots qu’à la nature des voix. Pauvres voix ! Comme elle les traite, cette musique barbare ! Elle porte, elle pousse la voix d’un malheureux ténor à de telles hauteurs, et l’y maintient avec tant de cruauté, qu’elle menace à tout moment d’en rompre les cordes. Après cela, après tout cela, faut-il user d’indulgence envers une chanson soi-disant et peut-être en effet japonaise ! Serait-il équitable de refuser au prélude du second acte un caractère assez mystérieux, même sinistre ? C’est là bien peu de chose : un rien, deux riens, perdus en un tout qui est affreux. « Une ignominie, » a dit, paraît-il, de Forfaiture, un de nos confrères.