Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs pattes, s’assit dans une clairière de la forêt landaise et observa, un petit coin de terre herbue. « Sur le bord d’un sentier forestier, au pays des sables, le monde des graminées sauvages, quand les premières fraîcheurs ont préparé l’automne et annoncé son odeur au ras du sol avant d’en emplir le ciel, ce petit monde renaissant, verdoyant, à défaut de grandeur et de splendeur végétales, offre des trésors de couleur et de formes dont je ne me lasserai jamais d’enrichir mes yeux... » Il y a la canche et la crételle, la flouve et le pâturin, la fléole et la fétuque, la houque et la téosinte, le dactyle ; et, si ces jolis noms, frais et embaumés, vous plaisent, vous irez voir à la campagne comment les diverses graminées les méritent. Le grillon qui sort de l’œuf ressemble à « un grain de riz supporté par six morceaux de fil blanc très mince. » En peu de minutes, ce grain de riz prend une couleur brune ; les antennes qui ont poussé deviennent roses ; le grain de riz a des yeux mordorés. En moins d’une heure, le grain de riz ressemble à un grain de café rôti. Les antennes remuent. Vous approchez une brindille : le grillon saute et, d’un seul bond, franchit l’espace de quarante centimètres... « Frémissements éperdus d’antennes. Première prise de contact avec l’aventure. Les pattes ne flageolent plus, mais agissent. Un temps de repos, d’ahurissement ou plutôt, dirait-on, d’émerveillement que valent à l’insecte prenant contact avec le monde la vague sensation de sa nouvelle puissance et, probablement, une hésitation pleine de terreur... » Voilà, en peu de mots, les sentiments du grillon qui naît à la vie ; en peu de mots : et mots humains, c’est leur infirmité.

Les jours suivants, il a, ce grillon, l’aspect qui sera le sien, sa vie durant, « sa figure en seau à charbon, » tout à fait dépourvue de physionomie. Et que fait-il ? Regardez-le : il saute, mieux et plus alertement que jamais. Il saute : « Mais il ne faut pas croire que, même à l’aube de sa vie, ces espiègleries lui plaisent. Il ne s’y livre qu’en cas de danger et notamment lorsque l’approche d’un soulier d’homme l’invite à changer au plus tôt de domicile. Dès cet instant, il possède en lui ces sourdes hérédités bourgeoises et casanières, avec tendance à l’obésité qui le caractériseront durant la majeure partie de son existence... » Il saute s’il a quelque prudente raison de ne pas rester à la même place ; et parfois il saute sans qu’on sache pourquoi, sans que lui-même le sache : il saute avec ennui, saute pourtant. Voilà Grillon dans la force de l’âge : un bourgeois ventru, poltron, nigaud parmi les orthoptères.

Vous l’avez mis dans une petite cage ; et vous avez placé cette