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l’un qui nous rassure et nous donne l’espoir de trouver en bas la vérité plus claire ; l’autre qui nous annonce l’objet le moins facile à saisir, et le plus vaste, un ciel. M. Derennes, à tout hasard, s’est humblement penché vers le grillon, petit insecte.

Il a de bons yeux, l’intelligence nette et la patience amusée d’un observateur. Un observateur est un homme qu’il ne faut pas louer d’être patient : car il découvre à tout instant ce qu’il n’avait pas deviné. Il aperçoit de petits faits : nul plaisir n’est plus attrayant, une fois que les idées que l’on appelle générales, et qui sont vagues, vous ont lassé par leur futilité insignifiante. L’observateur d’un grillon, comme un érudit sagace et méticuleux, voit ce que les idées emphatiquement dites générales négligent, parce que ces grandes fainéantes ne sont pas attentives à la réalité ; elles font bien : la réalité les tuerait, qui déjà les ridiculise. Après cela, ou dans l’intervalle de son étude, l’observateur et l’érudit pourront se divertir aux idées. Mais alors, ils n’en seront plus les dupes dérisoires ; ils joueront avec ces filles faciles, sauront que c’est un jeu et garderont pour les petits faits leur zèle sérieux.

Par exemple, dans un moment de relâche, voici M. Derennes qui se demande pourquoi le grillon, l’un des êtres chétifs que la nature, si brutale, anéantirait trop aisément, dure à travers les âges et en dépit des lois de l’évolution. Ces fameuses lois de l’évolution ne sont-elles pas la suprématie et le triomphe des espèces les mieux pourvues, les mieux armées dans la lutte ? M. Derennes se demande si le grillon ne dure pas « en vertu des avantages offerts aux déshérités et aux faibles. » M. Derennes se demande si l’on n’a peut-être pas pris au rebours de la vérité les lois de l’évolution : « Le plus fort n’a pas triomphé sur la terre et n’y triomphera probablement jamais. Pourquoi ? Je crois que Maman Nature partage la faiblesse de la plupart des mères à l’égard de leurs enfants maladifs ou mal venus : le plus faible et le plus inutile est celui qu’elle chérit le plus... Le droit de l’Humanité à la vie est le triomphe du droit des faibles. Qu’elle en ait abusé, comme une petite fille gâtée, ratée ou parvenue, cela est sûr et c’est dans l’ordre. » On répondrait à M. Derennes... Mais on aurait grand tort de lui avilir son idée qui est le contraire de l’idée la plus répandue. L’idée la plus répandue a négligé une quantité de petits faits que recueille l’autre. Et il faut des idées pour y loger tous les petits faits, si l’on a le goût du rangement : c’est la besogne de la science.

Ce grillon naquit le 15 septembre 1912. M. Derennes, au retour de la chasse, et tandis que ses chiens las posaient leurs babines sur