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L’art du peintre ne consiste pas tant à copier ce qu’il a sous les yeux par aventure qu’à choisir les traits importants. Et l’on peut lire à ce propos le deuxième chapitre des Notes d’un amateur de couleurs que vient de publier M. René Bazin, lui-même l’un de nos meilleurs peintres de la campagne et qui a médité son art... « Nous voyons infiniment plus de choses, dans le moindre coin de nature, que nous n’en pouvons rendre. L’artiste est un tamis : il laisse tomber le grain mort. Observez le tronc d’un pin au soleil : ces écailles superposées, dont aucune n’est du même ton que les voisines et qui composent l’écorce ; les surfaces très en relief, tantôt mousseuses et spongieuses, forées par le vent et noircies par la pluie, tantôt éclatées, lisses et, selon qu’elles tiennent de près ou de loin aux artères de l’arbre, tantôt fauves et tantôt transparentes et mauves comme une améthyste ; étudiez les ravins qui séparent ces sortes de caissons irréguliers, chemins des ombres violettes, au dessin ferme toujours et souvent tourmenté ; le plissement annulaire de ce rude épiderme autour des branches coupées ; le rouge de cinabre des plaies anciennes, les traînées d’or qui coulent çà et là de blessures invisibles, et le mouvement de tout l’ensemble qui monte vers la lumière ! Quel monde et comme vous serez impuissant à tout dire ! Les Hollandais eux-mêmes, qui peignaient les gouttes d’eau pendantes à la pointe des herbes et les images qui se miraient dans la goutte d’eau ont laissé de côté bien des détails que saisissait leur œil habitué à la loupe. Fidélité impossible, et d’ailleurs inutile, et condamnée par le grand art. Quand un peintre représente, sur la toile, un kilomètre carré de terre vivante, peu importe un lézard endormi au premier plan. Ce que nous lui demandons, ce qu’il nous donne, c’est l’impression qu’il a eue. Il a discerné l’essentiel dans l’image infiniment complexe ; il nous livre les éléments de reconstruction. Les découvrir, les fixer, c’est tout son secret et, s’il y réussit, c’est son génie. » Cet « amateur de couleurs » étudie l’art du peintre ; mais il est romancier, cet amateur de couleurs, et ne dit rien ci-dessus qui ne convienne aussi à l’art de peindre par les mots, d’expliquer les âmes et de grouper les incidents narratifs.

Assurément, il faut choisir : et l’art est de choisir. M, Bachelin n’y contredit pas ; et quel artiste, ou peintre ou romancier, voudrait y contredire ? Il faut choisir les éléments de reconstruction, c’est-à-dire que, sur les éléments à nous livrés par l’artiste ou le romancier, nous aurons, nous, à reconstruire ce qu’il a vu, « l’impression qu’il a eue. » L’impression qu’il a eue sera-t-elle exactement la nôtre ? Il faut, pour