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sorte, la mettre en bon français : vous n’entendez pas le patois. Il vous invite à ne pas concevoir une idée fausse, absurde et presque monstrueuse ou inhumaine, des âmes dont les singularités sont peut-être plus apparentes que réelles. D’autres écrivains, surtout à l’époque où florissaient le réalisme, le naturalisme et diverses toquades souvent très fâcheuses, ont eu si grand’peur de peindre fade qu’ils ont peint scandaleux : leurs paysans ne sont plus ni hommes ni femmes, ne sont plus que des bêtes livrées à l’instinct. Ces écrivains cherchaient le pittoresque et, en dépit de leurs doctrines, le préféraient à la plus simple vérité. Le pittoresque nous amuse, quelquefois ; mais il nous éloigne de l’objet qu’il nous présente. L’art de M. Pérochon, tout au contraire, nous rapproche de la campagne et de ses habitants : il approche de nous la campagne et ses habitants. M. Pérochon ne souhaite pas d’exciter notre curiosité, mais bien d’éveiller notre sympathie.

Et nous aimons Nêne, la servante si douce et bonne, qui d’abord aime d’un mélancolique amour, sans trop d’espoir, Michel Corbier, qui l’aime et davantage aime les deux enfants. Le sentiment de la tendresse maternelle est plus impérieux en elle que tous les autres sentiments. Elle n’est point payée de retour.

Les paysans de ce roman sont d’un coin de France qui a son caractère et qui a ses bizarreries. Depuis la Révolution, certains cantons et, dans les cantons, certains groupes de vieilles familles demeurent très attachés à un catholicisme sans culte et sans prêtres. Les ancêtres ont refusé tout accueil et même toute patience aux prêtres assermentés. Quand eurent peu à peu disparu par l’éparpillement ou la mort les prêtres réfractaires, leurs fidèles, puis les enfants et les arrière-petits enfants de leurs fidèles, ont gardé une intransigeance qui aujourd’hui les confine en l’état de dissidents obstinés, fiers, farouches et vertueux.

On retrouvera dans l’Abbesse de Guérande, de M. Charles Le Goffic, une secte du même genre, celle des Louisets. Leur nom leur vient de l’église Saint-Louis de Fougères, où ils se réunissaient le plus volontiers sous l’Empire et la Restauration. Ce sont des catholiques anticoncordataires. La bulle de Pie VII qui, en 1801, prononça la déchéance des évêques insermentés n’a pas réduit toute la Bretagne à l’obéissance ; et les Louisets continuent de protester, d’une manière plus ou moins secrète. Ils ont beaucoup d’orgueil, considérant qu’ils gardent seuls l’excellence religieuse ; et ils ont une austérité incommode. M. Le Goffic a imaginé de mettre aux prises avec