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d’une poésie adroitement simple et très élégante la mélancolie de son veuvage. Mais il engage une servante qui, au soin des deux enfants délaissés par la jeune morte, prêtera ses mains étrangères. La servante, Madeleine, et que les enfants appelleront Nêne, et qui est une vraie servante de campagne, arrive, un matin de la belle saison : « Les bêtes des haies se dérangeaient sur son passage. Les lézards, à l’affût entre les primevères et les pensées sauvages, reculaient vifs et silencieux. Les mésanges et les bouvreuils se levaient sur leurs nids et montaient aux hautes branches ; les merles fuyaient brusquement dans un gros bruit de feuilles... » Tout cela, c’est ce qu’a noté en se promenant, un matin de belle saison, M. Pérochon. Nêne aussi l’a-t-elle noté ? Oui. « Tous ces oiseaux n’allaient pas loin. Elle sentait qu’ils restaient là, cachés dans les saulées et les touffes de houx et qu’ils la regardaient avec inquiétude. » Elle croit même les entendre dire : « Que nous veut celle-ci, qui est si chargée et dont les talons sonnent si clair ? » Puis : « Comme elle passait tout droit, ils reprenaient bien vite confiance et chantaient. Madeleine relevait la tête vers les cimes vivantes et joyeuses et elle pensait : — Oiseaux de par

ici, j’entends que vous me faites accueil ; merci, mignons !... Ses yeux bleus éclairaient sa face rousselette : — Petits musiciens du paradis, musiquez-vous pour ma noce ? Ainsi soit-il ! Mais je suis vieille fille et je n’ai pas de galant. Petits, les jolis violons que vous feriez, et comme on prendrait gaiement la file derrière vous ! » Nêne a le don de poésie, à l’égal de Michel Corbier.

Cela vous étonne ? Vous figurez-vous que le don de poésie n’appartienne qu’aux citadins et récompense de longues études faites au collège ?... Pas du tout ! et notre étonnement ne vient ni d’orgueil ni de présomption. Mais, en même temps que le don de poésie, Nêne et Michel Corbier ont un langage et une rêverie de lettrés ou ont plutôt le langage et la rêverie qu’un jeune lettré, dans le premier plaisir de son émoi littéraire, attribue aux créatures de sa fraîche imagination. Pour tout dire, je ne crois pas que les paysans et les paysannes, — plus que les gens des villes, — parlent et rêvent ainsi.

Alors, M. Pérochon ne nous montre-t-il pas les paysans et les paysannes authentiques ? Ses paysans et paysannes sont-ils bergers et bergères de bucoliques ? L’on dira que ce n’est pas la peine de signer de « Vouillé (Deux-Sèvres) » un roman de paysannerie fade... Non ! le roman n’est pas fade et il contient beaucoup de vérité. Seulement, M. Pérochon, même s’il entend la campagne tout droit, sait que, pour vous la faire entendre, il doit vous la traduire et, en quelque