Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au moment de raconter la vie d’un grillon, M. Charles Derennes écrit : « Il n’est au monde rien de plus émouvant que l’éclosion et le déroulement d’une petite vie, d’une vie comme celle de l’insecte dont j’entreprends ici l’histoire. Petite vie... Je viens d’employer là une épithète qui ne me plaît en aucune façon... Petite vie : que pouvons-nous entendre de précis par ces deux mots ? Rien, sinon qu’il s’agit d’une vie que notre présomption nous autorise sommairement à considérer comme inférieure à la nôtre, aussi bien dans l’espace que dans le temps... » L’univers d’un grillon se borne à un rayon de quelque vingt mètres ; et la vie d’un grillon que nul accident n’interrompt se borne à quelque onze mois. Nombre de paysans ne bougent guère de leur village ; et, quant à leur durée, fût-elle plus longue que la nôtre, elle a une monotonie, en apparence, qui fait que son résumé tiendrait en peu de semaines ou de jours, à moins « pour citer encore Chateaubriand et, cette fois, le vieux Chateaubriand de l’ardent, morne et pathétique Rancé), « à moins de compter des jours qui ennuient tout le monde. » Or, l’espace et le temps modifient les univers et, dans les univers différents, déterminent des vies toutes différentes. Puis nous appelons petites vies celles qui ne sont pas les nôtres. C’est la faute d’un involontaire et naïf orgueil ou plutôt de cette présomption que signale M. Derennes au détriment de notre finesse intelligente.

M. Ernest Pérochon n’est pas un écrivain de Paris. Il a daté de « Veuille « Deux-Sèvres) » son roman de Nêne ; et son roman de Nêne se déroule dans ce pays des Deux-Sèvres. M. Ernest Pérochon, les journaux l’on dit à l’envi, est instituteur là-bas. Il a probablement pour compagnons habituels les paysans, demeure parmi eux, cause avec eux et, dans l’existence quotidienne, est l’un d’eux. Il doit les connaître. Il ne doit plus éprouver auprès d’eux l’étonnement qui nous avertit d’être attentifs, mais aussi nous ôte l’ingénuité qu’il faut pour accueillir l’exacte vérité. Comme il a un subtil talent d’écrivain, sans doute saura-t-il nous donner à bien entendre ce qu’il entend parfaitement.

Nous lui accordons notre confiance, comme à l’interprète le meilleur et dont l’habileté vaut la bonne foi.

Donc, lisons Nêne : « L’air était vif et jeune ; la terre fumait. Derrière le versoir... » Le versoir est la partie haute et large du soc et rejette en côté la terre que le soc a soulevée... « mille petites haleines fusaient, droites, précises, subtiles ; elles semblaient vouloir monter très haut comme si elles eussent été heureuses d’échapper enfin au