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REVUE LITTÉRAIRE

NOUVEAUX PEINTRES DE LA CAMPAGNE [1]

Si vous allez à la campagne, — mais, je dis, la vraie campagne, et non pas tel joli endroit de villégiature où les Parisiens ont vite fait de composer un coin de Paris, — je crois que vous éprouvez le triste sentiment de ne rien comprendre, ou peu de chose, à vos entours. Ce n’est pas la campagne, qui vous déconcerte. Elle vous prodigue ses bienfaits de repos, de silence et de quelque sage ennui. Ou bien elle vous émerveille, étant, d’un autre nom, la nature, que les poètes ont chantée et qu’ils vous ont appris à trouver belle. Du reste, vous ne la voyez pas des mêmes yeux dont la regardent les laboureurs ; et vous admirez des orages qui seront funestes aux récoltes. « Levez-vous, orages désirés ! » murmure ou crie la postérité citadine de René : le laboureur ne commet pas cette imprudence. Les citadins ont une idée de la campagne, un peu étrange et qui, vaille que vaille, leur permet de n’y être pas comme des sots. Ce n’est pas la campagne, qui vous déconcerte : ce sont les paysans. Même si vous avez pour eux une amitié qu’ils méritent ; même s’il vous plairait de fraterniser avec eux et de bon cœur. Ils ont un langage qui n’est pas le vôtre. Un patois ? Non. Je suppose qu’ils emploient votre vocabulaire et n’aient pas un accent très particulier. Les mots pareils ne semblent pas le signe d’une pensée pareille. Et quelquefois une pensée pareille, ou que vous devinez pareille, a recours à d’autres mots, à un autre sourire, au point de vous décevoir.

  1. Nêne, par Ernest Pérochon (Plon) ; — L’Abbesse de Guérande, par Charles Le Goffic (même éditeur) ; — Le bélier, la brebis et le mouton, par Henri Bachelon (Flammarion) ; — Vie de Grillon, par Charles Derennes (Albin Michel). — Cf. Notes d’un amateur de couleurs, par René Bazin (Calmann-Lévy).