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« clowns. » Sa harangue abonde en traits d’une trivialité crue. La veille, raconte-t-il, il a vu un ardito arrêté devant l’écusson de Fiume et lui a demandé ce que voulait dire la devise de la ville : indeficienter. « Cela veut dire : Je m’en f..., » a répondu l’ardito. Excellente traduction, opine d’Annunzio, qui proclame alors Fiume « l’ardita d’Italie » et « arditissimes » tous ceux qui occupent la « cité italianissime. »

Moïse de cette cité élue, d’Annunzio avait évidemment tous les titres à ce que Dieu lui apparût et lui parlât. Et en effet, c’est lui qui l’annonce : « le Dieu des armées m’a parlé. » Cet auguste interlocuteur l’a honoré d’un calembour : « Je vous ai fait à tous, lui a-t-il dit, un front plus dur que les fronts qui vous entourent. » Fort de cette révélation divine, le poète inspiré baptise alors ses hommes : « têtes-de-fer. »

Il y aurait encore une infinité de scènes à noter, dans l’activité de d’Annunzio dictateur, de traits à glaner, dans sa production de tribun. Par exemple, la création et la remise solennelle aux volontaires d’une médaille commémorative de l’expédition ; la résipiscence d’une compagnie de soldats qui, sur le point de quitter Fiume pour rentrer dans les lignes italiennes, sont harangués par le poète et tombent à genoux devant lui ; la présentation au peuple et aux troupes d’une recrue de marlue, le commandant Rizzo, marin qui s’est illustré dans la guerre par d’audacieux coups de main et vient prendre le com- mandement de l’ « escadre du Quarnero. » Et encore, cette interjection de Eia, Eia, Alala, cri de guerre de l’ancienne escadrille de d’Annunzio, jeté paru lui à tous les vents du balcon de son palais, ponctuant et terminant invariablement ses innombrables harangues ; les manifestes aux Vénitiens, aux Lombards, aux Romains, aux Ligures, morceaux d’éloquence animés d’un beau souffle patriotique ; la proclamation aux Yougo-Slaves, les invocations à la France de Victor Hugo, à l’Angleterre de Milton » à l’Amérique de Lincoln, les messages aux Irlandais, aux Tessi- nois, aux Égyptiens, aux Jeunes-Turcs ; car, de sa tribune de Fiume, d’Annunzio ne parle pas qu’aux Fiumains, mais à tous les Italiens et au monde entier ; enfin ces communiqués du « bureau de presse du comando de Fiume, » d’une ironie qui ne fut pas toujours indifférente au gouvernement de Rome.

Dans leur diversité, qui va du sublime homérique à la verve aristophanesque et shakspearienne, sous une forte empreinte