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de la ville, dans un rôle analogue à celui du chœur antique, fréquemment réunie sur la place à écouter les tirades de son pasteur militarisé, et le corps expéditionnaire de la victoire espérée : bersagliers, grenadiers, bouillants arditi, artillerie, chevau-légers, mitrailleuses, autos blindées, camions automobiles, avions et jusqu’aux marins d’une flotte, baptisée « escadre du Quarnero. » En face, de l’autre côté d’une barricade où veillent en sentinelles des réguliers et des irréguliers, un simple cordon sanitaire de troupes régulières isole Fiume sans l’assiéger et maintient autour d’elle un blocus des plus fictifs.

Le combat, grâce à Dieu, tarde à s’engager. Les Alliés ont sagement décliné le rôle de l’ennemi ; les Serbes n’ont pas cédé à la tentation de l’assumer ; le gouvernement italien attend avec raison, pour le faire jouer à ses soldats, que la nécessité le lui impose. M. d’Annunzio, qui a fait ses preuves ailleurs, et ses compagnons, dont beaucoup sont connus pour n’avoir pas froid aux yeux, doivent, bon gré mal gré, s’accommoder de cette carence. Peut-être ne leur eût-il pas déplu que le rôle de l’ennemi fût de prime-abord pris par quelqu’un, de préférence par le Yougo-Slave. Pour verser sur Fiume un peu de sang libérateur, donner son martyr italien à la ville du Quarnero, comme Trieste a Oberdan et Trente Battisti, l’occasion seule leur fait d’abord défaut. Que ne leur a-t-elle fait défaut jusqu’à la fin ! Tout sacrifice de vie humaine était dès lors inutile à leur cause, Fiume étant devenue sans cela, selon le mot expressif d’un diplomate romain, « la Mecque des Italiens. »

Toujours est-il que les seuls ennemis avec qui M. d’Annunzio puisse, pendant plus d’un an, se mesurer à Fiume sont, — nous le disons sans ironie, — du même ordre que les symboles pourfendus par Cyrano au dernier acte du drame de Rostand. Ce sont « à son jugement et à celui de ses admirateurs) le pharisaïsme wilsonien, l’injustice et l’hypocrisie de la Conférence, l’égoïsme et l’ingratitude des Alliés, l’usurpation yougo-slave, la capitulation italienne. Contre tout cela il dresse, toujours selon sa pensée, la protestation vibrante d’un patriotisme insurgé.

Défi non relevé ne peut fournir le thème d’une action bien mouvementée. De longtemps, celle du drame fiumain de d’Annunzio ne l’est pas. Elle n’est pas pour cela fade ni banale. Le vice-amiral Casanova vient à Fiume pour tenter de ressaisir les