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appréhensions d’ordre extérieur ou intérieur. La nouvelle n’en a été saluée d’abord, à Rome et dans les grandes villes, que par d’insignifiantes manifestations nationalistes ; mais bientôt le mouvement d’adhésion s’étend, gagnant surtout dans l’armée et dans la marine. Le 20 septembre, à Rome, la cérémonie traditionnelle à la brèche de la Porta Pia est marquée par des acclamations à d’Annunzio, à Fiume, et par quelques bagarres sur le Corso. D’autres manifestations suivent à Rome et en province.

D’autre part, les efforts faits pour ramener au devoir les réguliers entraînés par d’Annunzio demeurent sans résultat. Une proclamation, lancée par le général Badoglio, de Trieste, où il s’est arrêté, reste à peu près sans écho. Des pourparlers, engagés par intermédiaire entre le poète et le général, nommé haut-commissaire royal en Vénétie Julienne, n’aboutissent pas davantage. Par crainte d’exposer leur autorité à des échecs plus retentissants, les généraux ou amiraux du premier rang s’abstiennent pour la plupart de se rendre personnellement à Fiume : ainsi le général Badoglio, le général de Robilant, l’amiral Cusani-Visconti, tous commandants en chef dans ces parages. Plus audacieux, l’amiral Cagni en accepte ou même en sollicite, dit-on, la mission ; mais son intervention est infructueuse. Les généraux ou amiraux de moindre notoriété qui se risquent dans la ville interdite, ou bien en reviennent « bredouilles, » comme le général Amfossi, ou bien s’y font « coffrer, » comme l’amiral Casanova, ou bien se tirent d’affaire par une attitude débonnaire, comme l’amiral Nunès. Donc, rien à espérer de la conciliation ni de l’intimidation, de l’appel à la raison, ni du rappel à la discipline. Reste la force brutale, l’effusion du sang : cette ressource suprême est enlevée au Gouvernement par les dispositions de l’armée et de la marine, où ne se trouverait pas une unité consentant à marcher et à faire feu. L’essayer serait étendre la mutinerie. Dans ces conditions, le Gouvernement en vient vite à ne plus attendre le dénouement de la situation que de l’isolement de Fiume, d’un blocus bientôt tempéré du reste par un ravitaillement confié à la Croix-Rouge.

La crise d’autorité ainsi ouverte en Italie apparaît promptement grave. Malgré l’interruption théorique des communications postales et télégraphiques avec Fiume, correspondances et dépêches de presse en parviennent quotidiennement aux journaux de la péninsule, qui fournissent les plus amples