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la menace de complications extérieures et, à l’intérieur, l’atteinte profonde portée à la discipline militaire et à l’autorité de l’Etat. Ce sont là les deux préoccupations, on ne peut plus justifiées, qui inspirent à M. Nitti, le 13 septembre, des déclarations d’une extrême énergie dans le fond et dans la forme. Les peines prévues par le code militaire contre les déserteurs, dit-il à la Chambre, seront appliquées aux soldats qui, après l’injonction de rentrer dans les lignes, n’auront pas rejoint leur corps dans les délais légaux. Une enquête officielle établira toutes les responsabilités et des sanctions les puniront. Le président du Conseil stigmatise dans les termes les plus forts les excès du militarisme, blâme les excitations à l’animosité contre les Alliés et leur exprime publiquement ses excuses. Cette sévérité n’est à aucun degré de l’affectation ou de la jactance. L’intention du Gouvernement est alors de rétablir à Fiume une situation normale, de mettre d’Annunzio à la raison, de sévir s’il le faut contre les militaires qui l’ont suivi, d’employer au besoin la force. « La discipline avant tout ; nous ferons notre devoir, si pénible soit-il : » tel est le langage de tous les ministres. Le plus urgent étant de détacher de d’Annunzio les soldats et officiers réguliers et de les faire rentrer dans l’ordre, le général Badoglio, chef d’Etat-major général, est envoyé à Fiume avec de pleins pouvoirs.

Sur le premier moment, les déclarations de M. Nitti à la Chambre ont passé sans protestation. On peut même dire que, sur le fond, sinon sur la forme, la plupart de ses auditeurs ont été d’accord avec lui. Mais dès le soir même se dessine, contre les paroles du président du Conseil, une réaction qui ira croissant. Son discours a plutôt mauvaise presse ; on lui reproche d’avoir exagéré l’humilité envers les Alliés, la rigueur envers les auteurs du coup de main, d’avoir assimilé à des déserteurs ordinaires des hommes dont l’indiscipline a eu une cause et une fin patriotiques. Cette réaction est assez sensible pour que, revenant sur la question le 16 septembre, M. Nitti lui-même juge à propos de faire légèrement machine en arrière, en s’exprimant sur un ton plus doux, plus serein. La parade ne coupe pas court immédiatement aux critiques, qui ont surtout pour but de retenir le Gouvernement sur la voie de la répression. En même temps, la sympathie pour l’entreprise d’annunzienne s’accentue, prend décidément le dessus sur les