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Depuis les discours incendiaires qu’il avait tenus à Rome, après le message public de M. Wilson, M. d’Annunzio n’avait plus parlé, ni fait parler de lui. Rendu, sur sa demande, à la vie civile par le cabinet Nitti, il s’était retiré à Venise ; on le croyait tout à la préparation d’un raid aérien Venise-Tokio, que le Gouvernement organisait à grands frais, espérant par là l’éloigner pour quelque temps.

Le 12 septembre, dans l’après-midi, un journal de Rome publie, sous le titre un geste garibaldien, une dépêche de Venise annonçant que Gabriel d’Annunzio en est parti la veille et, à la tête d’un corps de volontaires, marche sur Fiume, où il est entré. La publication surprend le gouvernement italien en pleine quiétude et dans la plus complète ignorance du fait. Au ministère des Affaires étrangères, on n’en connaît rien ; pas davantage, au ministère de la Guerre et à celui de la Marine. A l’Intérieur (présidence du Conseil) on est un peu plus avancé : on sait que d’Annunzio a quitté Venise, mais on ne met pas en doute qu’il ne parvienne pas à Fiume, toutes les instructions étant données pour l’en empêcher ; peu d’instants après, on confirme officiellement son arrivée au but. Le président du Conseil apprend l’événement en séance de la Chambre, d’abord par le journal, ensuite par une dépêche officielle, que lui apporte le Sous-Secrétaire d’État à l’Intérieur, Les députés voient, pendant qu’un orateur poursuit son discours, M. Nitti entrer en colère, taper du poing sur son banc et se tourner vers les ministres de la Guerre et de la Marine, avec qui il cause un instant, en donnant des signes de violente irritation.

Ces détails, — et encore plus la suite, — démentent catégoriquement la conjecture, parfois faite à l’étranger, d’une collusion entre d’Annunzio et le gouvernement italien. La réalité est certainement moins machiavélique : c’est que le poète a pipé son gouvernement.

Des informations publiées les jours suivants permettent de reconstituer à peu près le sensationnel coup de force. D’Annunzio a préparé son expédition de longue main et s’est entendu avec le commandant d’un bataillon de grenadiers, cantonné à Ronchi. Il a eu avec lui de fréquentes entrevues secrètes. Ont été mis au courant du projet et se sont engagés à y participer un certain nombre d’officiers, et même d’hommes de troupe. C’est de Ronchi qu’a eu lieu le départ, à minuit naturellement.