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il conservait des doutes trop fondés. Le public a seulement su que la délégation italienne à Paris se louait des dispositions du gouvernement français. Cette notion incomplète n’a pas été sans influencer à notre profit l’état des esprits en Italie : elle a été insuffisante à déterminer un revirement. Le peuple italien avait, du reste, à revenir de si loin, qu’un revirement subit lui était impossible. De l’excitation et de l’emportement, où nous l’avons vu en mai ou juillet précédents, il avait passé à une résignation amère, qui, pour être moins bruyante, n’en valait guère mieux. « Vainqueurs dans la bataille des armées, nous sommes, lui répétait-on, vaincus dans la bataille diplomatique, et par qui ? par nos propres alliés. » Le sentiment de la victoire s’effaçait au point qu’on ne songeait pas à offrir aux soldats victorieux et à la population tout entière la satisfaction, pourtant bien romaine, d’un triomphe comme ceux de Paris et de Londres, ou que, si l’on y songeait, on ne l’osait pas ! Très rares étaient ceux qui, dans la dépression quasi générale, conservaient la faculté d’apercevoir et d’apprécier les inappréciables avantages que la victoire rapporterait, en tout état, à l’Italie ; très rares, ceux qui sentaient que, si le Trentin eût peut-être pu revenir sans guerre à leur patrie, la frontière naturelle du Brenner et Trieste suffisaient seules à justifier une guerre, sans laquelle elles n’eussent jamais été acquises.

Un exemple frappant de cette indifférence aux résultats acquis a été fourni par l’accueil fait au traité de Saint-Germain. L’annonce de la signature de la paix avec l’Autriche a été reçue à Rome avec une surprenante froideur. A la Chambre, le président du Conseil s’est borné, sans commentaire, à déposer le texte du traité et à en demander le renvoi à la Commission qui examinait déjà le traité de Versailles. Cette proposition a été approuvée sans une observation. Une tentative d’applaudissements faite par quelques députés n’a eu aucun écho. Dans la rue, pas de démonstration, pas un cri, pas un drapeau aux fenêtres. De la part du Gouvernement et de la municipalité, aucune manifestation officielle de joie : ni salve d’artillerie, ni sonnerie de cloches. Accueil glacial au traité qui consacre le morcellement de l’Empire des Habsbourg, réduit l’Autriche à un Etat de quelques millions d’habitants, et apporte à l’Italie Trente, Trieste et la frontière du Brenner. Tant est puissant l’effet de diversion produit par Fiume et par l’Adriatique !