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une bataille dans laquelle on ne veut pas s’avouer vaincu. »

Pour défendre la doctrine de Maistre sur la Providence contre le reproche d’être une discipline de passivité, il n’y aura qu’à se souvenir, le livre de Foch en main, que c’est avec les conceptions maistriennes sur le gain des batailles que la Grande Guerre a été gagnée. Le Dieu de Maistre, si absolu qu’il soit dans sa souveraineté, n’est pas un Dieu qui paralyse la spontanéité des énergies, et qui marchande aux hommes la gloire.

À l’origine de l’illustration littéraire de Maistre, il y eut la Révolution, cette Révolution que subissait son « fatalisme » et qu’interpellait son génie, cette œuvre de Satan, peut-être, mais d’un Satan devenu, pour des plans divins insoupçonnés, un auxiliaire inconscient, involontaire. C’est parce que dépaysé, parce que désorbité par cette Révolution, que Maistre trouva, pour s’épanouir, un terrain qu’en des époques plus calmes sa petite patrie savoyarde lui refusait. Bienfaisantes furent pour lui, malgré leur apparente cruauté, les rigueurs de sa destinée : elles furent les ouvrières de sa vocation d’apologiste. À distance, il semble qu’elles commentent elles-mêmes son œuvre de penseur et qu’elles plaident, elles aussi, elles surtout, pour le « gouvernement temporel de la Providence, » qui sut les faire tourner à la commune gloire de Dieu et de son serviteur Maistre.

Comment au cours même de ces rigueurs se paracheva, d’abord à Lausanne auprès des prêtres émigrés, puis en Russie auprès des Jésuites, la formation religieuse de Maistre ; comment s’amendèrent ses conclusions au sujet de l’illuminisme ; par quels coups de pouce, — coups de pouce de la « Providence, » — se laissa modeler et guider, au nom même de ses conceptions religieuses, cette vie qui se consolait d’être errante en se sentant mystérieusement gouvernée ; et par quelles étapes, enfin, l’ancien Frère de la Sincérité fut conduit à devenir l’auteur du Pape : un prochain article l’apprendra.


GEORGES GOYAU.