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Saint-Martin et qu’il devait les retrouver, plus tard, dans les œuvres posthumes du « philosophe inconnu. » Et il passait à cette besogne, ainsi qu’il prenait la peine de le noter dans son Journal, trente-huit heures treize minutes [1] ! A cette date de 1797, Maistre n’allait plus en loge ; mais les morceaux religieux d’origine maçonnique le captivaient toujours ; et sans ombre de jactance, il pourra, en 1816, se rendre ce témoignage : « Je suis si fort pénétré des livres et des discours de ces hommes-là, qu’il ne leur est pas possible de placer dans un écrit quelconque une syllabe ; que je ne reconnaisse [2]. »

Distinguer expressément la religion de l’Evangile de toutes les autres élaborations religieuses ; rêver, en vue de la réunion des Eglises issues de l’Evangile, une mystérieuse conjuration des bonnes volontés ; imposer la croyance à la divinité du Christ comme une condition nécessaire d’accès aux plus hautes spéculations ; s’éprendre, en pleine atmosphère gallicane, de ce fait religieux qu’est la primauté pontificale ; et, d’autre part, demander aux loges, en même temps qu’à l’Eglise, l’intelligence du christianisme ; dire parfois aux Frères, d’ailleurs, avec un sourire, que ce qu’ils viennent de découvrir se trouvait déjà dans le catéchisme ; mais continuer, cependant, d’aller avec eux à la découverte, comme dignitaire d’un organisme d’études religieuses dénommé le rite écossais : c’était assurément une attitude originale, et cette attitude exprimait, par ses complexités mêmes, la fiévreuse ardeur d’une curiosité intellectuelle, le bouillonnement d’un esprit assoiffé de comprendre l’homme, assoiffé de comprendre Dieu. Nous la verrons plus tard, sous certaines influences, se corriger et s’assagir ; mais qu’elle eût été complètement inféconde, c’est ce que Maistre n’admettra jamais ; et les pages mêmes où il se montrera le plus détaché de l’illuminisme avoueront encore quelque dette de sa pensée, et laisseront transparaître, presque malgré lui, ces soubresauts d’attachement tenace que suscitent les souvenirs d’une lointaine jeunesse.

  1. Clément de Paillette, op. cit., p. 284-287. — Journal, 4 décembre 1797.
  2. Œuvres, XIII, p. 220.