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à la Providence et au péché originel, à l’efficace du sang rédempteur et à la solidarité des hommes devant Dieu, Maistre avait eu besoin d’un autre Credo que de celui de ses maîtres jésuites ! Mais les convergences mêmes entre l’illuminisme et ce Credo devaient intéresser Maistre. Il les montrait du doigt, parfois, à ses interlocuteurs martinistes. Se moquant de leur phraséologie bizarre, qui désignait, sous le nom de pâtiments, les épreuves infligées aux coupables, il écrira en 1810 : « Souvent je les ai tenus moi-même en pâtiment, lorsqu’il m’arrivait de leur soutenir que tout ce qu’ils disaient de vrai n’était que le catéchisme couvert de mots étranges [1]. »

Et tandis que les martinistes, au point d’arrivée de leurs spéculations, rencontraient ainsi certains aspects du catéchisme catholique, ils avaient en Allemagne des cousins germains, les piétistes, qui rencontraient le catholicisme, eux, dès le point de départ de leurs élans, puisqu’ils prenaient pour guides et pour oracles, tout protestants qu’ils fussent, sainte Thérèse, saint François de Sales, Fénelon [2].


C’est une chose fort extraordinaire, signalait Maistre dès 1793 à Vignet des Étoles, que dans l’Allemagne protestante une foule de spéculateurs illuminés penchent au catholicisme ; » et il lui citait avec allégresse un propos du duc de Brunswick disant en plein convent de Wilhelmsbad : « Il faut laisser aller à la messe les frères catholiques, parce qu’il y a dans leur culte quelque chose de plus substantiel que dans le nôtre, qui ne leur permet pas comme à nous de se dispenser du service divin [3].


Maistre notait tous ces faits : il les fallait noter avec lui, pour expliquer le long et patient et durable intérêt qu’il prit aux spéculations de l’illuminisme. Il conserva, nous le savons par une lettre de 1846, une correspondance avec quelques-uns des principaux personnages martinistes [4], et parmi les durs soucis que devait lui apporter la turbulente année 1797, il est curieux de le voir, à Turin, prendre le temps de copier de sa main trois discours anonymes, tenus avant 1790 dans les loges lyonnaises. Il les copiait, sans même savoir qu’ils étaient de

  1. Clément de Paillette, op. cit., p. 285, — Œuvres, V, p. 248-249.
  2. Œuvres, VIII, p. 328.
  3. Mémoire inédit à Vignet des Étoles.
  4. Margerie, op. cit., p. 431.