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martinistes auguraient certains renouveaux ; ceux-là niaient le surnaturel, et ceux-ci cherchaient au contraire les « connaissances surnaturelles » comme le « grand but de leurs travaux et de leurs espérances ; » les premiers incriminaient la Providence, et les seconds, avec un enthousiasme fervent, se faisaient les fourriers et les annonciateurs de son prochain coup d’Etat ; les uns « expliquaient » la Bible à la façon de Voltaire, et les autres se flattaient de la « trouver en nature dans eux-mêmes » et la respectaient comme l’expression même de « l’état où se sentait leur âme quand elle cédait aux inspirations du sens moral ; « les philosophes se gaussaient, avec leur aïeul Bayle, des incurables contradictions entre les religions diverses ; et les martinistes préféraient saluer, de loin, « je ne sais quelle grande unité vers laquelle on marchait à grands pas. »

Les martinistes maintenaient Dieu sur son trône, non comme un roi fainéant, mais comme le conducteur de l’histoire. Ils s’évadaient de cette geôle, la dialectique, dans laquelle le raisonnement emprisonnait la raison ; vivant dans une « grande attente » et voyant, dans la révélation même, « des raisons de prévoir une révélation de la révélation, » ils comptaient sur l’enthousiasme inspiré, sur l’intuition prophétique, pour atteindre, par l’élan spirituel, jusqu’à certains mystères redoutables. Et voilà qu’en cinglant ainsi vers l’invisible, la rêverie de Saint-Martin découvrait des doctrines où le catholicisme retrouvait quelques vestiges de sa propre foi ; il saisissait, dans chacune de nos facultés, des traces de déchéance ; il présentait le mal physique comme une conséquence du mal moral ; il expliquait les sacrifices et le plus auguste de tous, la Rédemption, en considérant le sang comme une sorte de réactif à l’aide duquel la matière était précipitée dans les bas-fonds, et l’esprit rendu à la liberté ; il glorifiait enfin les mécanismes de réversibilité, en vertu desquels l’innocent souffre pour le coupable.

Adolphe Franck, plus tard, confrontant ces thèses de Saint- Martin avec les Soirées de Saint-Pétersbourg, fera de Maistre un débiteur du « philosophe inconnu [1]. » Comme si, pour croire

  1. Journal des Savants, 1880, p. 246-256 et 269-276. — Amédée de Margerie, op. cit., p. 429-442, soumit à une critique très serrée cette thèse de Franck, et rappela que le chapitre III des Considérations, où s’esquissent déjà les idées fondamentales des Soirées, est antérieur de six ans au Ministère de l’Homme-Esprit, de Saint-Martin.