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qu’il déclarera avoir « connu, étudié et fait exécuter les libertés de l’Eglise gallicane, » avoir « tenu la balance ferme et fort bien su faire rentrer les prêtres dans leur cercle lorsqu’ils voulaient en sortir, » et pouvoir dès lors passer, en l’espèce, pour un esprit « tempéré [1]. » Encadré dans un organisme d’État, Maistre substitut, Maistre sénateur, envisageait tout naturellement les choses d’Église du point de vue de l’État ; et ce n’est assurément pas auprès de Willermoz que ses idées avaient pu s’amender, car les documents relatifs à cet illuminé lyonnais nous le font connaître comme « un pseudo-janséniste mélangé de gallican, » qui « croit à la divinité du Christ et à la Rédemption, mais n’admet pas l’autorité du Pape [2]. »

Il faudra les bourrasques révolutionnaires qui feront du magistrat savoyard un Européen, pour que ce légiste devienne un canoniste, expert désormais à envisager, du point de vue même de l’Église, le fonctionnement de l’Église. « Anciennement vous étiez des nôtres, » lui diront à la fin de sa vie, en le voyant « papiste, » ses anciens confrères du Sénat de Savoie ; et Maistre répondra : « Hélas ! mais on ne vient dans le monde que pour reconnaître ses erreurs et s’en amender » [3]. Malgré ce qui subsistait de gallicanisme dans son mémoire à Brunswick, n’était-il pas déjà, dès 1781, sur la voie de l’amendement, puis- qu’il ne pouvait « imaginer rien de mieux, » comme type de gouvernement, que l’autorité pontificale ?

Maistre, avant de clore ce long message, étudiait la question du serment maçonnique. Il ne lui échappait pas que Benoit XIV avait « attaqué la place par le côté faible » en niant qu’on put licitement jurer de cacher quelque chose à la puissance civile, si l’on était interrogé légalement par cette puissance. Un peu gêné lui-même, semble-t-il, par son propre respect pour la souveraineté, Maistre essayait d’un peu de casuistique :


On peut soutenir que, dès que nous sommes sûrs dans notre conscience que le secret maçonnique ne contient rien de contraire à la religion et à la patrie, il ne concerne plus que le droit naturel, et que nous ne sommes pas mieux obligés de le révéler au gouvernement

  1. Daudet, Joseph de Malstre et Blacas, p. 242 (Pion, 1908) ; et Œuvres, XII, p. 429.
  2. Bord. op. cit., l, p. 38.
  3. Lettre de la duchesse de Montinorency-Laval « Constance de Maistre), publiée par le P. Dudon, Études, 20 novembre 1910, p. 504.