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ce sens allégorique on trouverait des armes victorieuses contre les écrivains modernes qui s’obstinaient à ne voir dans l’Écriture que le sens littéral. On dirait que Maistre, ici, vise Voltaire, et qu’il demande aux maçons du troisième grade de meubler un arsenal pour riposter aux audaces de la Bible enfin expliquée. Et déjà, il les entrevoyait tous à l’œuvre, les uns s’enfonçant courageusement dans les études d’érudition, d’autres dans la contemplation métaphysique ; et puis il ajoutait : « Que d’autres encore, et plaise à Dieu qu’il en existe beaucoup, nous disent ce qu’ils ont appris de cet Esprit qui souffle où il veut, comme il veut, et quand il veut. » Évidemment il espérait que par une gracieuse condescendance envers certaines spéculations conquérantes, l’Esprit dirait à certains privilégiés des choses nouvelles, ou leur redirait des choses anciennes.

Maistre traitait une dernière série de questions : la forme de gouvernement à adopter dans les loges, leur code, leurs règlements intérieurs. Il ne voulait pas d’absolutisme, mais pas de démocratie non plus, car « elle n’a pu s’établir et subsister que dans les petits États. » Il rêvait d’« un centre où tous les rayons aillent aboutir ; » et ce centre, il le définissait ainsi : « le gouvernement d’un seul, modifié par d’autres pouvoirs. » Il continuait :


Si l’on voulait un excellent modèle d’un régime de cette espèce, on le trouverait dans l’autorité que le Pape exerce sur les Églises catholiques ; on ne croit pas qu’il soit possible d’imaginer rien de mieux. Bien entendu qu’on n’entend parler que des pays où cette puissance est resserrée dans de justes bornes, tels que la France, l’Autriche depuis peu de temps, et le pays où ceci est écrit.


Nous savions déjà, par certaines lettres de Maistre, que le Sénat de Savoie, — ce Sénat qui s’était montré d’une malveillance notoire pour la bulle Unigenitus et pour les droits de la papauté sur la nomination des évêques[1], — avait été pour le jeune magistrat une école de gallicanisme. J’ai été « membre pendant vingt ans d’un Sénat gallican, » dira-t-il plus tard au comte de Marcellus[2] ; et lorsqu’il voudra remontrer à Blacas que, pour être attaché à l’Église catholique, il n’est pas moins attaché à la « souveraineté européenne, » c’est en toute sincérité

  1. Burnier, Histoire du Sénat de Savoie, II, p. 116 et 169 (Chambéry, 1865).
  2. Œuvres, XIV, p. 208.