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Tout est important pour eux, excepté la seule chose importante... Ils ne savent attaquer la superstition que par le scepticisme. Imprudents qui se croient appelés à sarcler le champ des opinions humaines, et qui arrachent le froment, de peur que l’ivraie ne leur échappe. Ils ont guéri nos préjugés, disent-ils. Oui, comme la gangrène guérit la douleur.

Dans cet état de choses, ne serait-il pas digne de nous, de nous proposer l’avancement du christianisme comme un des buts de notre ordre ? Ce projet aurait deux parties, car il faut que chaque communion travaille par elle-même et travaille à se rapprocher des autres. Sans doute cette entreprise paraîtra chimérique à bien des Frères ; mais pourquoi ne tenterions-nous pas ce que deux théologiens, Bossuet et Molanus, tentèrent dans le siècle passé, avec quelque espérance de succès ? Le moment est encore plus favorable, car les systèmes empoisonnés de notre siècle ont au moins produit cela de bon, que les esprits à peu près indifférents sur les controverses peuvent se rapprocher sans se heurter : il faut être de nos jours versé dans l’histoire pour savoir ce que c’est que l’Antéchrist et la prostituée de Babylone. Les théologiens ne dissertent plus sur les cornes de la Bête ; toutes ces injures apocalyptiques seraient mal reçues aujourd’hui. Chaque chose porte son nom : Rome même s’appelle Rome, et le Pape, Pie VI.

Jamais cette réunion n’aura lieu tant qu’elle se traitera publiquement. La religion ne doit plus être considérée de nos jours que comme une pièce de la politique de chaque État, et cette politique est d’un tempérament si irritable ! Dès qu’on la touche du bout du doigt, elle entre en convulsion. L’orgueil théologique fera naître de nouveaux obstacles, en sorte que cette grande entreprise ne peut se préparer que sourdement. Il faut établir des comités de correspondance, composés partout des prêtres des différentes communions que nous aurons agrégés et initiés. Nous travaillerons lentement, mais sûrement... Comme, suivant l’expression énergique d’un ancien Père, l’univers fut autrefois surpris de se trouver arien, il faudrait que les chrétiens modernes se trouvassent surpris de se voir réunis.

Il n’est pas douteux que l’ouvrage devrait commencer par les catholiques et les luthériens d’Augsbourg, dont les symboles ne diffèrent pas prodigieusement. Quant aux calvinistes, s’ils sont de bonne foi, ils doivent convenir qu’ils ont étrangement défiguré le christianisme ; ainsi c’est à eux de nous faire des sacrifices.


Voilà dans quels termes précis et avertis Maistre développait à Brunswick cet étrange songe : tous les maçons du second grade, dans le monde entier, travaillant à réaliser, sur des