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Et Maistre proposait, pour entrer en loge, une formule de serment qui n’impliquait que la croyance à la religion naturelle.

Le premier grade maçonnique, conquis moyennant cette formule, devait avoir pour but « les actes de bienfaisance en général, l’étude de la morale, et celle de la politique générale en particulier. » Maistre rêvait que dans chaque loge se créât un comité de bienfaisance, que la loge fût informée des traits de vertu et de patriotisme, qu’on les récompensât ; cette récompense, disait-il, « aurait quelque chose de républicain, qui pourrait intéresser. » Il voulait qu’on se mit à la piste du malheur, que tous les frères, successivement, fussent chargés d’une bonne œuvre :


Portez l’aumône vous-mêmes, c’est un bienfait. D’ailleurs ces sortes d’actes contribuent puissamment à notre perfection morale. L’homme n’est pas créé pour spéculer dans un fauteuil, et c’est en faisant le bien qu’on en prend le goût.


Les études sérieuses sur « la patrie, » ses détresses, ses moyens de régénération, devaient occuper, aussi, les maçons du premier grade ; et le Maistre des Considérations et de l’Essai sur le principe générateur, pour qui la politique est une science expérimentale, se laisse pressentir, déjà, lorsqu’il dit à Brunswick :


Sur la politique, on ne se perdra jamais en vains systèmes. Car la métaphysique de cette science, et en général tout ce qui n’est pas clair et pratique, n’est bon que pour amuser les écoles et le café.


Pour passer du premier grade au second, Maistre exigeait un acte de foi. A ce stade, il convenait que le maçon fût mis en présence de la divinité du Christ et de « la vérité de la révélation, qui en est la suite, » et qu’il fût mis en demeure de les « avouer hautement. » Car dans ce second grade, qu’ils n’atteindraient pas avant l’âge de trente ans, les frères n’auraient pas seulement à s’occuper d’« instruire les gouvernements » au sujet du bien public, mais ils devraient aviser à la « réunion de toutes les sectes chrétiennes » et à « tout ce qui peut contribuer à l’avancement de la religion, à l’extirpation des opinions dangereuses, en un mot, à élever le trône de la vérité sur les ruines de la superstition et du pyrrhonisme. »

Superstition, pyrrhonisme : voilà les deux fléaux dont en 1781 Maistre poursuit la ruine ; il ne s’acharnera, plus tard, que