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mesure à les défendre toutes : c’était sa jouissance de s’inscrire en faux contre les philosophes, et sa vengeance, à l’issue d’un siècle qui avait voulu abolir le mystère des origines, prenait goût à les montrer mystérieuses, sous le voile même du mythe. Déclarer, comme il le fît dans les Considérations, qu’« il n’est point de système religieux entièrement faux [1], » ce n’était nullement faire acte de scepticisme ; mais c’était considérer le mythe comme une déformation de la révélation primitive, comme la survivance d’un apport divin contaminée par la dégradation humaine, et comme un témoignage de l’enseignement universel de Dieu et du péché universel de la famille humaine ; et si « folles » que fussent les opinions des païens, si « monstrueuses » que fussent leurs pratiques, Maistre jugeait possible de les « délivrer du mal, » pour « montrer ensuite le résidu vrai, qui est divin [2]. » Les industries d’une telle exégèse, favorisées par certains Pères de l’Eglise, lui permettaient de concilier très correctement avec sa foi catholique un demi-respect pour des faits religieux étrangers au christianisme. Un demi-respect seulement, rien de plus. Et gardons-nous de croire qu’il eût accepté d’assimiler le fait chrétien aux autres faits religieux. Brunswick, en lisant sa prose, put se rendre compte du contraire.


V. — UN APPEL DE MAISTRE À LA MAÇONNERIE POUR LA RÉUNION DES ÉGLISES ; UN PROGRAMME D’ORGANISATION MAÇONNIQUE

Descendant de ces cimes, Maistre entretenait le duc de ce que devaient faire les trois grades maçonniques. Pour l’accès au premier grade, — le grade inférieur, — il voulait qu’on ne choisît que des gens dont on connaissait les mœurs, « la Société regorgeant de caractères douteux ; » et cela lui paraissait une imprudence, une impardonnable légèreté, de faire jurer aux candidats qu’ils croyaient à l’Evangile de saint Jean.


Voilà un jeune homme qui n’a pas la moindre idée du vrai but de la maçonnerie, et qui peut-être ne croit pas en Dieu (car quelle supposition ne peut-on pas faire dans ce siècle ?). Et vous allez lui demander brusquement, au milieu de quarante personnes, s’il croit à l’Évangile... Sa réponse est souvent un crime.

  1. Œuvres, I, p. 125.
  2. Œuvres, V, p. 310-311.