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confrontons les passages, prouvons que nous sommes chrétiens. Allons même plus loin, la vraie religion a bien plus de dix-huit siècles.

Elle naquit le jour que naquirent les jours.

Remontons à l’origine des choses, et montrons par une filiation incontestable que notre système réunit au dépôt primitif les nouveaux dons du Grand Réparateur.


J’ose dire qu’à l’avenir ces lignes devront faire vedette dans toute étude sur la pensée religieuse de Maistre. Il a alors vingt-neuf ans ; il se laisse aller, dans cet écrit ésotérique, à penser tout haut, et ce qu’il propose à la franc-maçonnerie, c’est de se mettre à l’école du christianisme. On a parfois argué de certains textes de Maistre pour lui prêter je ne sais quelle nuance de conservatisme religieux, respectueux, sous toutes les latitudes, de tous les dogmes nationaux, et sous lequel se serait caché un demi-scepticisme. On se déclarait troublé, par exemple, par certaine page de l’Étude sur la souveraineté, écrite en 1794. Maistre y parle des « hommes rares, véritables élus, » auxquels Dieu ce confie ses pouvoirs. » « C’est une idée véritablement enfantine que de transformer ces grands hommes en charlatans, et d’attribuer leur succès à je ne sais quels tours inventés pour en imposer à la multitude. On cite le pigeon de Mahomet, la nymphe Egérie, etc. ; mais si les fondateurs des nations, qui furent tous des hommes prodigieux, se présentaient devant nous, si nous connaissions leur génie et leurs moyens, au lieu de parler sottement d’usurpation, de fraude, de fanatisme, nous tomberions à leurs genoux, et notre nullité s’abîmerait devant le caractère sacré qui brillait sur leur front [1]. » A genoux devant Mahomet, à genoux devant Numa ! Qu’était-ce à dire ? Tous les dogmes nationaux, même ceux du paganisme, même ceux de l’Islam, étaient-ils donc aussi respectables pour le Romain de jadis ou l’Arabe d’aujourd’hui, que le catholicisme pour le Savoyard ou le Français ? Il faut en finir avec cette légende d’un Maistre à moitié sceptique : le mémoire au duc de Brunswick la réfute avec éclat.

En fait, le polémiste qu’était Maistre, voyant que Voltaire et les Encyclopédistes jetaient sur tous les prêtres de toutes les religions une suspicion d’imposture, inclinait en quelque

  1. Œuvres, I, p. 344-345.