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la forme, tout dans ce mémoire porte la griffe de Maistre. Brunswick voulait « porter l’ordre et la sagesse dans l’anarchie maçonnique : » en vue du prochain convent de Wilhelmsbad, il avait, par circulaire, questionné les loges. Maistre remerciait le duc, l’encourageait : il lui paraissait beau qu’on proposât « à des hommes divisés par l’intérêt, par la jalousie nationale, par les systèmes politiques, religieux et philosophiques, de se réunir, de s’entendre, de signer un traité éternel au nom du ciel et de l’humanité. » Une à une, il allait passer en revue les questions qui devaient être soumises au futur convent : « Qu’étions-nous ? que sommes-nous ? Avons-nous des maîtres ? Devons-nous subsister ? sous quelle forme ? »

L’opinion d’un auteur anglais rattachant les francs-maçons aux architectes des anciennes cathédrales était exposée par Maistre avec quelque complaisance. Quant à l’autre thèse, qui les faisait descendre des Templiers, et qui avait abouti à la création d’une « multitude de grades faux, ou même dangereux, inventés par la fraude ou le caprice, » il estimait qu’» on ne devrait pas en être flatté. » Et sa plume, soudainement, laissait entrevoir, en dépit de sa réaction contre le philosophisme, qu’ayant lu les philosophes, il les avait parfois retenus :


Le fanatisme créa les Templiers [1], et l’avarice les abolit... L’idée d’un moine soldat ne pouvait germer que dans une tête du XIIe siècle. Tous ces chrétiens auraient mieux fait de prier Dieu dans leurs paroisses ; c’est bien à eux qu’il fallait dire :


Estne Dei sedes, nisi terra, et pontus, et aer,
Et cœlum et virtus ? Numen quid quærilur ultra ? (Lucain).


Le discours préliminaire du livre du Pape, et le chapitre de ce même livre qui s’intitule : Autres considérations particulières sur l’empire d’Orient, nous offriront, plus tard, de tout autres jugements sur les croisades. Mais dans ce long mémoire maçonnique, c’est là le seul passage où nous discernions encore l’influence du siècle sur la pensée de Maistre.

Il observait que « L’In… » (l’Initiation) « était plus ancienne que les Templiers ; » et très nettement il concluait que, de ces

  1. Que ce verdict du « philosophisme » est aujourd’hui révisé par l’histoire, c’est ce que prouvent les pages consacrées aux origines des Templiers par M. Victor Carrière dans son Historique et cartulaire des Templiers de Provins (Paris, Champion, 1919).