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était bonne ou mauvaise, suivant le genre des esprits qu’on invoquait. » Maistre considère comme prouvé, par un passage d’Origène, que « le christianisme, dans les premiers temps, était une vraie initiation où l’on dévoilait une véritable magie divine ; » et parmi les objets de cette initiation, il cite en particulier l’âme des astres et la division des nations.

Recherches et polémiques s’agitaient, depuis deux cents ans, dans les deux confessions chrétiennes, autour de cette vieille discipline de l’Arcane, qui, du troisième siècle au milieu du cinquième, avait savamment gradué pour les catéchumènes la révélation progressive des mystères chrétiens et ajourné jusqu’au moment du baptême l’instant décisif de la pleine « illumination » [1] ; et des écrits comme ceux d’Origène, où se mêlaient tant bien que mal l’Evangile chrétien et certaines imaginations gnostiques, suggéraient la trompeuse idée d’une chrétienté primitive dans laquelle une élite d’initiés aurait entrevu certaines vérités, supérieures au commun catéchisme. Maistre devait s’engouer d’une telle hypothèse : n’était-ce pas une nouvelle chiquenaude à ce philosophisme qui niait que Dieu eût jamais parlé au monde ? Aux antipodes de Voltaire et des encyclopédistes, il se plaisait à penser, lui, que Dieu, dans un lointain passé, avait peut-être parlé plus précisément encore, et plus généreusement encore, que ne le croyait et que ne se le rappelait la foule humaine ; et il se faisait chercheur, en loge, pour surprendre ces autres échos de Dieu, épars et comme perdus.

Nous avons eu entre les mains de longues lettres maçonniques adressées de Lyon à Maistre, en 1779 et 1780, par un Frère qui signe Ab Eremo (c’est Willermoz en personne) ; par un Frère qui signe Gaspard a Solibus (il s’agit de Savaron, visiteur général de la province d’Auvergne) ; et par un correspondant dont la signature a disparu, la fin de la lettre manquant. Ces messages sont des sortes de dissertations philosophico-théologiques : de loin, on éclaire le Frère de Chambéry ; on lui annonce, le 9 juillet 1779, que Savaron va lui porter deux instructions : « par leur secours, lui dit-on, dès que vous admettez du fond du cœur les dogmes de l’existence de Dieu, de la spiritualité et immortalité de l’âme, vos doutes sur les autres points s’effaceront. » Maistre, en juin 1780, voudrait

  1. Sur le vrai sens de la discipline de l’arcane, voir Batiffol, Études d’histoire et de théologie positive, p. 3 à 41 (Paris, Lecoffre, 1902).