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durant, de lucratives pensions [1]. Le rite qu’il proposait était le rite écossais, détaché vers 1735 de la maçonnerie anglaise, et qui, enrichi et remanié dans les loges allemandes, avait acquis un surcroît de mystère par la création de nouveaux grades secrets, un renouveau d’éclat par l’amusante prétention de se rattacher aux Templiers, et des séductions imprévues, grâce aux combinaisons financières de Schubart [2]. En 1771, un autre Allemand, le baron de Weiler, avait inauguré en France, en faveur de ce rite, une vigoureuse propagande : le Directoire écossais ou Réforme du Nord s’organisait en provinces de Bourgogne, d’Occitanie, d’Auvergne, avec Strasbourg, Bordeaux, Lyon, comme capitales. Et Maistre va nous dire, dans son Mémoire à Vignet, comment Chambéry fût conquis :


Les francs-maçons de Lyon projetèrent d’établir une loge semblable à Chambéry ; ils entrèrent donc en négociation au moyen d’une personne de confiance qui connaissait les deux villes. On fit des propositions. Et, enfin, sept personnes seulement, dont trois gentilshommes, furent choisies pour être les chefs et les fondateurs de la Réforme. De même, quatre seulement, dont trois gentilshommes, eurent la confiance pleine et indéfinie de Lyon. Ces quatre personnes firent successivement le voyage de Lyon pour s’instruire à la source. Deux d’entre elles y sont même retournées d’autres fois [3].


Les documents publiés par M. Vermale confirment ce texte et l’illustrent, car ils témoignent que, le 30 avril 1778, s’ouvrit à Chambéry la loge écossaise de la Sincérité, et que seize Frères des Trois Mortiers, parmi lesquels Maistre, prirent congé de la maçonnerie anglaise pour pratiquer le rite nouveau. Ce fut vers Lyon qu’ils s’orientèrent, comme vers une métropole spirituelle. L’activité merveilleuse d’un simple mercier, Willermoz, faisait alors de Lyon le chef-lieu suprême du rite écossais pour

  1. Vermale, op. cit., p. 9. Les documents des Trois Mortiers nomment ce personnage Scuback ; M. Vermale, dans un travail dont il a bien voulu nous donner la primeur, établit son identité avec Schubart.
  2. Le Forestier, les Illuminés de Bavière et la franc-maçonnerie allemande, pp. 156-166 (Paris, Hachette, 1915).
  3. C’est au milieu des bourrasques de 1793 que Maistre feuilletait ainsi ses souvenirs ; ils étaient assez incertains quant aux dates. « Il y a douze ans plus ou moins, » dit-il à propos du voyage en France du baron de Weiler, qu’il appelle « Wehler, » et de l’introduction du rite écossais à Chambéry ; sa mémoire lui présentait ces faits comme plus récents qu’ils ne l’étaient en réalité.