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sublimes. Mais le Ciel rencontrait un vengeur : « Jamais conversation ne fut plus forte, plus énergique, que celle qu’il y eut entre Jeannette et son frère sur la Providence, dont il voulait justifier la sagesse qu’elle attaquait [1]. » Jeannette n’avait pas douze ans, Joseph en avait vingt et un. Toute sa carrière de penseur s’insère entre cette veillée funèbre et les Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, que dès 1806 il déclarait rouler depuis longtemps dans sa tête [2], et que sa mort laissera inachevées.

Maistre croit, même parmi les affres du deuil, que ce que Dieu fait est bien fait. Il y a des douleurs qui se révoltent ; d’autres s’unissent mystiquement aux souffrances du Christ ou de la Madone, et trouvent, dans cette solidarité d’épreuves, la force d’accepter ; le plus grand nombre oscillent, lamentablement pantelantes, entre la révolte et l’acceptation. La première grande douleur de Maistre échappe à ces classifications. Celle-là s’agenouille devant Dieu, parce que Dieu est un souverain, et qui ne peut être que sage ; elle se considère comme un détail du gouvernement divin, et ne permet pas qu’on attaque ce gouvernement-là ; elle n’est encline ni à la rébellion, ni aux pieux élans d’abandon ; elle est loyaliste, elle est ce que doit être la douleur chez un sujet de Dieu. Ce jeune homme qui pleure, mais qui ne veut pas qu’on ose incriminer, pour ses pleurs, la responsabilité du Très-Haut, annonce déjà le futur apologiste des conseils divins et de l’obéissance humaine.

Il fut l’élève des Jésuites, que disperse et supprime, en cette même année, un ouragan venu de Rome. Il leur doit de bien connaître le catéchisme, dont plus tard il dira les richesses à ses « frères » des loges. Il leur doit son entrée dans la grande congrégation de Notre-Dame de l’Assomption, dite aussi congrégation des Nobles ou des Messieurs, édifiant groupement qui, tant que les Jésuites purent s’en occuper, ménageait à ses membres, périodiquement, des retraites spirituelles de neuf jours. Simultanément, depuis l’âge de quinze ans, il appartient, tout comme son père, à une autre confrérie, celle des Pénitents Noirs, qui, quatre fois l’an, par leurs processions humiliées et lugubres, rappellent à la cité savoyarde la proximité du trépas

  1. Descostes, Joseph de Maistre avant la Révolution, I, p. 127-128 « Moutiers, 1894).
  2. Œuvres, X, p. 112 (lettre à Mgr de La Fare).