Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui prépara l’opinion chrétienne à l’acceptation d’une nouvelle définition dogmatique, avait-il mis à l’école du dogme sa propre pensée ? La vie intérieure de cet apologiste participait-elle à la vie même de l’Eglise ? Cet ultramontain, dans la pratique, observait-il les disciplines catholiques ? Maistre, en un mot, pensait-il, priait-il, agissait-il en fils de l’Eglise ? Ou bien ressemblait-il à l’un de ces contreforts qui soutiennent du dehors les murs des basiliques, à l’un de ces zouaves pontificaux qui, dans leur ardeur à faire le coup de feu pour le Pape, espaçaient parfois à l’excès leurs visites au confessionnal et même à l’autel ?

On fouillait cette édition Vitte qui, il y a trente-cinq ans, rassembla commodément en quatorze volumes les morceaux épars de la grande œuvre de Maistre, et qui seule fait autorité ; et lorsqu’on y auscultait les pulsations religieuses de l’écrivain, on croyait pouvoir, en sécurité, s’abandonner à cette jouissance, de se sentir en contact avec une âme, et non point seulement en présence d’une attitude. D’outre-tombe, Xavier, puis Constance surgissaient : dans des lettres que publiaient M. l’abbé Klein, M. Latreille, le P. Dudon [1], ils attestaient que leur frère, que leur père, avait été, bien effectivement, un catholique fervent. Mais voilà que s’entr’ouvraient les registres des vieilles loges savoyardes : un érudit collaborateur des Annales révolutionnaires, M. François Vermale, les compulsait avec une sévère méthode [2], et des textes précis permettaient de conclure que, de sa vingt-et-unième a sa trente-sixième année, Maistre avait été, non moins effectivement, un fervent franc-maçon. Et toutes ces données nouvelles projetaient des lueurs, mais ces lueurs s’offusquaient, se contrariaient entre elles.

En mettant à notre disposition, avec une libéralité digne d’une gratitude profonde, certains documents de ses archives familiales, conservées en son château de Saint-Martin-du Mesnil-Oury, M. le comte de Maistre, arrière-petit-fils de l’illustre écrivain, nous a permis de voir clair, et de faire voir clair qu’il en soit ici remercié, avec son frère, le P. Dominique de Maistre. Nous avons pu consulter, parmi les volumes où Maistre groupait ses notes de lecture et parfois les commentait, un gros

  1. Correspondant, 10 décembre 1902 ; Quinzaine, 16 juillet 1905 ; Études, 20 novembre 1910.
  2. François Vermale, La franc-maçonnerie savoisienne à l’époque révolutionnaire d’après ses registres secrets (Paris, Leroux, 1912).