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disgrâces dans ces belles passions qui semblent nous emporter au-dessus de la vie ordinaire et qui nous y ramènent par des voies obliques et douloureuses.

Les Rohan étaient une des plus illustres maisons de France, et apparentées à la maison royale. René, le père de notre Françoise, avait épousé la sœur du roi de Navarre. Françoise, née le 16 août 1534, de trois ans plus jeune que Jacques de Savoie, avait été élevée au château de Plessis-lès-Tours, avec Jeanne d’Albret qui épousa Antoine de Bourbon. Bien que son cas soit digne de notre pitié, comme doit l’être celui d’une fille séduite et abandonnée après avoir été rendue mère, elle ne mérite peut-être pas toute la sympathie que lui marque le baron de Ruble, qui s’est institué son défenseur contre Saint-Simon et contre Nemours[1]. Ni au début ni à la fin de sa vie de femme, elle n’est sans reproche. Fiancée à son cousin Louis de Rohan, et le contrat signé (26 octobre 1551), elle rompt le mariage parce que son fiancé devient aveugle. Les blessés de guerre n’eussent pas trouvé grâce auprès d’elle. Elle n’est pas, nous le verrons, une résignée. Entrée comme fille d’honneur au service de Catherine de Médicis, elle est mise sous la garde d’une dame de Cossé, veuve et prude, que Nemours bernera. A la Cour, elle se lie étroitement avec Jeanne de Savoie, sœur du beau Nemours, et partage avec elle son appartement, ce qui autorise l’intimité des trois jeunes gens. Ainsi devient-il amoureux de Françoise dont il porte les couleurs. Sur la beauté de Mlle de Rohan, nous avons le témoignage du poète Melin de Saint-Gelais dont je sais en deux vers un des plus jolis madrigaux qui aient été adressés à des mains blanches :

Je veux boire au creux de tes mains
Si l’eau n’en dissout point la neige.

Quand Jeanne de Savoie épouse le comte de Vaudemont (janvier 1555), les deux jeunes gens continuent de se voir de si près que l’on commence à jaser. La dame de Cossé fait des remontrances au jeune homme qui lui assure qu’il vient pour le bon motif, ce qui, aussitôt, calme la duègne. En réalité, il n’a jamais pensé à ce mariage, et tout simplement, il faut le

  1. Le duc de Nemours et Mlle de Rohan (1531-1592), par le baron Alphonse de Ruble (Labitte, édit. 1883), tiré à 170 exemplaires. — Voir aussi du comte de la Ferrière. Une cause célèbre au XVIe siècle (Revue des Deux Mondes, 1882).