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En dehors de cette consécration, disons même de ce renforcement, d’une entente indispensable, quelles réalités tangibles nous ont offertes les accords de Paris ? Le « Conseil suprême » a, d’abord, distribué, comme une simple Académie, quelques prix de Vertu. Il a déclaré reconnaître comme États constitués des morceaux épars de l’ancien Empire russe, la Lettonie, l’Esthonie, la Géorgie. Pour l’Ukraine et la Lithuanie, il n’a pris encore aucune décision. Mais, dès maintenant, voici que, grâce aux reconnaissances accordées, nous donnons une ratification solennelle à un morcellement qui va, sans doute, accroître l’instabilité de l’Europe orientale. Que deviendra demain toute cette poussière d’États ? A quel vent s’envolera-t-elle ? Retombera-t-elle sur les routes de l’Entente ? S’en ira-t-elle en tourbillons derrière le char restauré de la Germania ? Les Alliés se sont-ils prémunis contre les surprises de l’avenir ? Ont-ils tout bonnement songé à dresser aujourd’hui contre la Russie soviétique une fragile barrière de petites nations indépendantes ? Je ne sais, mais ce qui serait, en tout cas, à souhaiter, c’est que, demain, vis à vis des États qu’ils viennent de tenir sur les fonts baptismaux, leur conduite politique fût mieux coordonnée qu’en ces derniers mois, vis-à-vis de la Pologne. Le tout n’est pas de mettre au jour des États, de les oindre et de leur donner des noms ; il faut leur assurer les moyens de vivre et de protéger leur souveraineté.

La Conférence s’est ensuite retrouvée en présence de ce traité de Sèvres, qui hante, comme un cauchemar, les nuits des Gouvernements alliés. Elle s’est tirée d’embarras par un nouvel ajournement et elle a décidé de convoquer à Londres, vers la fin de ce mois, les représentants de la Grèce constantinienne et des deux Turquies, celle d’Angora comme celle de Constantinople. Cette détermination paraît, à première vue, révéler une certaine évolution de la politique anglaise.

Le 4 janvier, l’agence Reuter annonçait encore officieusement que le Gouvernement britannique ne songeait, ni à retarder la ratification du traité de Sèvres, ni à s’intéresser aux négociations entre Constantinople et Angora. Mais, depuis lors, il s’est produit quelques faits nouveaux. Une offensive grecque locale a échoué, en Asie-Mineure, contre les troupes kémalistes ; l’agitation révolutionnaire des Musulmans indous s’est étendue ; il a été question à Londres d’évacuer la Mésopotamie et de replier sur Bassorah les troupes d’occupation ; et, à la suite de ces divers incidents, et de quelques autres, le traité de Sèvres paraît avoir perdu, aux yeux de l’Angleterre, les plus brillantes de ses qualités.