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Moins de deux mois après le retour de l’Émir, il semble donc être avéré qu’il n’a ni l’autorité suffisante, ni la volonté de rétablir l’ordre dans les territoires syriens et de collaborer loyalement avec la France. Il s’apprête au contraire à tenter une aventure extrême destinée à le libérer de la tutelle française.

Dans son ensemble, la situation est alors plus délicate que jamais, et tout indique qu’elle va devenir critique. Mais sans moyens militaires suffisants pour imposer la volonté de son Gouvernement, et d’ailleurs fidèle aux instructions reçues, le général Gouraud fait preuve de patience et continue à observer l’entente conclue avec Feyçal, que nous aidons de toutes manières, que nous subventionnons, avec qui nous marchandons, dans l’espoir de mettre fin au désordre et de pouvoir organiser le pays enfin pacifié.

Car les Syriens, et surtout les Libanais, s’impatientent. Ils ne peuvent comprendre les difficultés de toute nature auxquelles nous nous heurtons. Ils demandent à sortir de l’état d’incertitude politique et administrative dans lequel on les tient, et qui arrête toute vie économique. En zone Ouest et même en zone Est, ils redoutent que la France se soit trop engagée avec Feyçal, toujours considéré comme l’homme des Anglais, et dont ni l’origine, ni le caractère, ni les tendances n’ont leur sympathie. Au Liban, on commence à craindre que nous ayons sacrifié la réalisation du Grand Liban, ardemment désirée par les populations, à une entente chimérique avec l’Émir.

Celui-ci, dans les derniers jours de février, et sous la pression du parti extrémiste de Damas, croit enfin le moment venu de jeter le masque sans danger. Les événements de Cilicie absorbent en effet la presque totalité de nos troupes. La situation militaire de la France en Europe, aggravée par la démobilisation et par des difficultés de transport, ne permet pas l’envoi des renforts promis en novembre au général Gouraud, et souvent réclamés depuis.

La politique anglaise affecte par ailleurs certaine divergence avec la nôtre. Dans l’intérieur de la Syrie, les esprits surexcités par une propagande intense atteignent le degré de fanatisme et de xénophobie voulu par Feyçal pour qu’il puisse se dire emporté par le courant nationaliste. Les circonstances lui semblent donc éminemment favorables à la réalisation de ses desseins.