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III. — LE RÈGNE ÉPHÉMÈRE DE FEYÇAL

C’est une curieuse figure que celle de ce prince de l’Islam, authentique descendant de Mahomet, et fils du Chérif de la Mecque qui est devenu l’étrange roi Hussein Ier du Hedjaz, par la grâce de nos Alliés britanniques. On a dit et écrit de lui, comme de tant d’autres, beaucoup de bien et beaucoup de mal qu’il ne méritait pas. Il est resté avant tout un Bédouin. Sans doute, nous l’avons vu renoncer à son costume traditionnel d’Arabe pour revêtir à Londres un uniforme kaki et porter à Paris un frac bien coupé. Sans doute, la distinction réelle de ses manières, le charme de son beau regard d’Oriental et l’apparente aménité de son caractère lui ont conquis bien des sympathies et valu, de la part de ses amis d’Europe, les encouragements les plus flatteurs. Ils allaient au prince de légende auréolé d’une jeune gloire et paré des espoirs d’un royaume nouveau. La fortune paraissait l’accueillir, et Paris voulut lui sourire à son tour.

Mais Feyçal devait tromper tous les espoirs. Servi pourtant par une inestimable fortune, il n’a su être que malin et voir petit, alors qu’il aurait fallu être intelligent et voir grand. Il est demeuré semblable à certains commerçants de son pays qui sont propres à toutes les petites opérations fructueuses, réalisées aux prix des pires marchandages, mais ne possèdent pas le génie créateur qui conçoit et qui mène à bien les grands desseins.

Oriental indolent, issu d’un pays de rêve où les idées germent et grandissent, mais où le temps et l’espace n’ont pas de prix, il s’est heurté à notre précision d’Occidentaux et au désir de solution que nous apportons à toutes nos entreprises. N’étant pas le plus fort, il a tenté d’être le plus habile et il a échoué, ayant méconnu cette vérité première que deux puissantes nations alliées et unies, la Grande-Bretagne et la France, ne sacrifieraient pas leur amitié à la sienne, et ne feraient point passer avant leurs intérêts nationaux les siens.

Il a cependant développé tout au long son expérience ; elle a duré de janvier à juillet 1920. Elle a comporté de sa part l’emploi à notre égard de tous les moyens d’intimidation et même de chantage, le recours à tous les crimes. Le détail en sera édifiant pour une opinion qui n’aurait pu les soupçonner. Leur contraste est particulièrement saisissant avec la modération, obstinée dans sa dignité, qui a présidé à tous les actes