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conversion ne fut plus sincère, plus pénétrante, plus intégrale.

Jusqu’à ce jour, les pratiques froides et sèches du luthérianisme n’avaient offert qu’un médiocre aliment à la sensibilité imaginative de la jeune femme ; l’expérience du mariage ne lui avait pas été plus favorable. Tous ses instincts de rêve et d’émotion, de ferveur et de tendresse trouvèrent soudain leur emploi dans les rites mystérieux et les pompes magnifiques de l’orthodoxie. Sa piété s’exalta merveilleusement. Elle connut alors des plénitudes et des élans qu’elle ne soupçonnait pas.

Dans l’éclat de son Gouvernement général, qui équivalait à une vice-royauté, Serge Alexandrowitch apparut bientôt comme le protagoniste de la croisade réactionnaire qui résume toute la politique intérieure du « très pieux tsar Alexandre III. » Un de ses premiers actes fut d’expulser en masse les Juifs qui s’étaient peu à peu infiltrés à Moscou et de les refouler brutalement dans leurs ghettos des provinces occidentales. Puis il édicta une série de mesures asservissantes ou vexatoires contre les professeurs et les étudiants de l’Université. Il adopta enfin une altitude hautaine envers les bourgeois pour leur faire sentir que leur libéralisme, si modeste fût-il, n’était pas de son goût. Comme il advient toujours en pareil cas, les officiers et fonctionnaires de son entourage se plaisaient à exagérer ses manières cassantes. L’animosité générale qu’il s’attirait ainsi le remplissait d’orgueil.

Au mois de mai 1896, le sacre de Nicolas II marqua une date radieuse pour l’autocratisme orthodoxe. L’idéal des Tsars moscovites, l’intime alliance du Sacerdoce et de l’Empire, s’affirmait comme la pensée directrice du nouveau règne. La catastrophe du Champ Khodinsky, où 2 000 moujiks périrent par l’inadvertance de la police, projeta néanmoins une ombre sinistre, quoique passagère, sur le décor illuminé de la Ville sainte.

Deux ans plus tard, on inaugura au Kremlin, devant la Cathédrale de l’Archange, le monument du « Tsar martyr » Alexandre II. Au cours des cérémonies dont ce fut l’occasion, le Procureur suprême du Saint-Synode, Constantin Pobédonostsew, reçut la plus haute distinction honorifique de l’Empire, l’ordre insigne de Saint-André, fondé en 1698 par Pierre le Grand. L’armée « orthodoxe et très chrétienne » fut associée aux fêtes par une magnifique revue.