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d’abord intransigeant, absolu, âpre, implacable, puis nous le montrerons moins dur pour la faiblesse humaine, parce qu’ayant vécu plus longtemps, il aura vu plus longtemps souffrir.


II

Née en Espagne au XVIe siècle, orpheline à seize ans, n’ayant pour toute famille qu’un frère bretteur, escroc et ruffian, Clorinde, dans la misère, entendant ce que

La pauvreté murmure à de jeunes oreilles,

a dû « renoncer à l’honneur pour un morceau de pain. » Mais sa beauté, son intelligence, sa distinction naturelle l’ont empêchée de se plaire dans la fange. Elle se serait peut-être même affranchie et relevée, si elle n’avait eu, à côté d’elle, ce frère spadassin, qui a pour emploi, dit-on,

De surprendre l’amant et le mettre à rançon.

Ses sentiments à l’égard de ce sacripant, elle les lui exprimera ainsi :

Je te hais, te maudis et je voudrais pouvoir
Te remplir de ma honte et de mon désespoir.

Elle a réussi cependant à se relever un peu, elle est entrée au théâtre, sans pouvoir cependant cesser tout à fait d’être une courtisane. Mais elle doit fuir l’Espagne, Franca-Trippa son frère ayant donné

Une estocade
A travers l’héritier présomptif d’un alcade.

Tous deux se dirigent vers l’Autriche, où elle compte reprendre son métier de comédienne.

Elle méprise l’argent, et, bien qu’elle en ait reçu beaucoup, il ne lui reste rien. C’est une cigale :

J’ai toujours lavé l’or de mes prospérités
Au rapide courant des prodigalités.

Mieux : elle a honte d’elle-même. La vie à laquelle elle est contrainte l’écœure. Elle a vingt-cinq ans.

Sur son chemin, à Padoue, un vieux bourgeois de soixante ans passés s’éprend d’elle et lui offre de l’épouser. Elle est