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De retour à Vienne à six heures et demie, le temps de changer de vêtement, et me voici au jardin du Belvédère où il y a fête de charité. L’entrée est publique, mais c’est toute l’aristocratie viennoise qui vend, en plein air, dans de petites boutiques numérotées, et, comme le programme indique les noms et les numéros, c’est une excellente façon de passer en revue le Tout-Vienne ; la boutique la plus achalandée est celle où la princesse Metternich fait elle-même la tombola, avec son entrain et sa verve légendaires ; ses gens tournent la roulette, tandis qu’elle excite le chaland, à la grande joie du populaire. Imaginez-vous la duchesse de Doudeauville se risquant à en faire autant au Bois de Boulogne ? Décidément, il fait doux vivre en ce pays.

Une longue station à la boutique de Mme de Berckheim, causerie et Champagne ; on m’invite à participer au service avec d’aimables compagnons ; je me sens déjà de la maison, et c’est sur cette note de five o’clock que j’ai regagné l’hôtel pour faire mon paquet et vous écrire.


II
A ma sœur.
Entre Buda-Pesth et Bucarest,
en wagon-restaurant,
lundi de Pentecôte, 4 heures.

Je suis tout seul dans ce bow-window mouvant ; le soleil est radieux et la plaine hongroise s’étend à l’infini. Nous sommes entre Czegled et Szegedin ; les chevaux paissent contre la voie que longent en courant les gars bronzés en jupon blanc, aux bottes molles, au feutre noir, mi-arabes, mi-moujiks. Voici trois officiers de honved, souples et joyeux, qui traversent le wagon ; j’entends qu’ils vont à Szegedin finir leur lundi de Pentecôte entre camarades.

Le train s’arrête pour un quart d’heure à Nagy-Koros, et j’en profite pour écrire quelques lignes sans trépidation. C’est, comme toutes les stations de cette ligne, un pittoresque chalet, planté sans barrière au milieu des champs ; les vestons, les uniformes, les costumes populaires presque orientaux, les robes françaises se mêlent gaiement sur ce quai grouillant d’un jour de fête.

Parti de Vienne hier soir, je me suis réveillé ce matin, à