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une armée défiler sans fin grâce au monôme circulaire de quelques pauvres hères. Sur bien d’autres points encore, le premier coup d’œil montre que le traité de paix n’est pas là-bas parole d’évangile. Ainsi, pour ne parler que d’un détail, on voit dans le jardin de la Cour, au centre même de Munich, et magnifiquement alignés devant la façade du musée bavarois de l’armée, plusieurs canons français. J’ai reconnu un 90, notre bon vieux 95 et un Rimailho. Aux termes du traité, ces canons ne devraient plus s’étaler là. C’est aussi, dans le même jardin de la Cour, que j’ai aperçu, — un peu rouillés, mais fort bien rangés, — quelques chevaux de frise ornés de fils barbelés et qui sont là depuis les émeutes de l’autre année. Dans une ville aussi bien ordonnée que Munich et où la voirie est aussi impeccable, ce n’est pas sans raison, je suppose, que ces machines à empêcher la circulation sont restées là. C’est que les Bavarois, monarchistes et catholiques ardents, ne se soucient pas, après en avoir goûté, de refaire une nouvelle expérience du régime communiste et de quelques autres fariboles que le septentrion leur envoya naguère. Évidemment, la barbe hirsute et la redingote famélique de Kurt Eisner, — même si, comme affirment certains, on voyait le ciel au travers — ont dû détonner au milieu de tous ces marbres, de tous ces ors, de toutes ces colonnades. Les Munichois qui se piquent d’être gens de goût ne paraissent pas disposés à laisser récidiver cette faute contre l’esthétique de leur ville.

Une nuit de sleeping vous dépose de Munich à Vienne. Mais il ne faudrait pas savoir ce qu’est actuellement un voyage dans l’Europe centrale pour penser que cette nuit de sleeping peut être employée à dormir. Il faut, durant un arrêt de plusieurs heures à Insprück, franchir le cycle interminable des formalités douanières, visites et visas de passeports, interrogatoires et fouilles qui, sur les deux versants de toutes les frontières d’Europe (et Dieu sait s’il y en a, maintenant, des frontières en Europe ! ) servent de justification fallacieuse à la pullulation d’innombrables fonctionnaires chamarrés, casquettes et bottés, ou qui du moins mériteraient souvent de l’être. Ah ! je ne sais pas si l’or est vraiment aussi rare qu’on le dit dans les banques du vieux monde, mais je vois une raison qui suffit à expliquer sa volatilisation : c’est l’effrayante multiplication des galons qui, en torsades variées ceignent les chefs et les poignets de ces myriades de bipèdes européens, et dont la fabrication a évidemment suffi,