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— Mais que voulez-vous que je lui dise ?

— Mon cher enfant, ne sais-tu pas toujours ce qu’il faut dire ? répliqua son père en souriant.

— Je dirai que vous êtes vieux jeu, et que vous préférez monter les cinq étages à pied, parce que vous n’aimez pas les ascenseurs.

— Dis que je suis vieux jeu, ça suffira…

Dallas le regarda encore : puis, avec un geste d’incrédulité, il disparut sous la voûte.

Archer s’assit sur le banc, et continua à regarder le balcon aux stores. Il calcula le temps que mettrait son fils à monter dans l’ascenseur jusqu’au cinquième, à sonner à la porte, à être admis dans l’antichambre, puis introduit dans le salon. Il imagina Dallas entrant dans la pièce de son pas vif, assuré, avec son charmant sourire. Avait-on raison de dire que son fils tenait de lui ?

Ensuite, il essaya de se figurer les personnes qui étaient déjà dans le salon ; car, à la fin de l’après-midi, il devait y avoir quelques personnes. Mais il ne voyait qu’une dame au pâle visage, avec une masse de cheveux sombres, qui redresserait la tête vivement, se levant à demi pour tendre à Dallas sa longue main fine, ornée de trois bagues. Archer imagina qu’elle serait assise sur un canapé au coin du feu, et qu’il y aurait des azalées en fleurs derrière elle sur une table.

— Je la retrouve mieux que si j’étais là-haut à côté d’elle, se dit-il à haute voix.

Et la crainte de sentir s’évanouir cette dernière illusion le tenait immobile sur le banc pendant que les minutes s’écoulaient.

Longtemps, il demeura ainsi dans l’envahissement du crépuscule, sans quitter des yeux le balcon. À la fin, une lumière perça les fenêtres. Un moment après, un domestique vint relever les stores et fermer les persiennes.

Comme si c’était le signal qu’il attendait, Newland Archer se leva lentement et revint seul à son hôtel.


Edith Wharton.