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appelle « Ivan le Grand. » Par elle, il se crut désormais l’héritier de l’Empire byzantin ; il prit, pour armes nouvelles de la Russie, l’aigle à deux têtes. Elle s’entoura d’artistes et d’ingénieurs italiens. Sous son règne, un souffle d’hellénisme et de culture classique adoucit, quelque temps, la rudesse moscovite.

Vers la fin du jour, je termine ma promenade par le Mont des Moineaux, d’où le regard embrasse Moscou et toute la vallée de la Moskowa. On le nommait jadis le Mont du Salut, parce que les voyageurs russes, quand ils découvraient de là leur ville sainte, s’arrêtaient un instant pour se signer et prier. Le Mont des Moineaux évoque ainsi, pour la Rome slave, les mêmes souvenirs que le Monte Mario pour la Rome latine. Un pareil sentiment d’admiration et de piété faisait se prosterner les pèlerins du moyen âge, lorsque, des hauteurs qui dominent le cours du Tibre, ils apercevaient la Cité des Martyrs…

Le 14 septembre 1812, à deux heures de l’après-midi, sous un soleil étincelant, l’avant-garde de l’armée française, déployée en tirailleurs, couronna le Mont des Moineaux. Elle s’arrêta, comme frappée de stupeur devant la majesté du spectacle. Battant des mains, elle criait avec allégresse : « Moscou ! Moscou !… » Napoléon accourut. Transporté de joie, il s’exclama : « La voici donc, cette ville fameuse ! » Mais aussitôt, il ajouta : « Il était temps ! »

Chateaubriand a résumé la scène dans une image d’un romantisme pittoresque : « Moscou, comme une princesse européenne aux confins de son empire, parée de toutes les richesses de l’Asie, semblait amenée là pour épouser Napoléon. »

Quelque vision de ce genre s’esquissa-t-elle dans l’esprit de l’Empereur ? J’en doute. Des pensées trop graves, des présages trop inquiétants l’absorbaient déjà.

A dix heures du soir, je repars pour Saint-Pétersbourg.

Dans l’ordre politique, cette journée me laisse deux impressions fortes. La première m’est venue, à l’Ouspensky Sobor, en regardant l’Empereur debout devant l’iconostase. Sa personne, son entourage et tout le décor de la cérémonie, traduisaient éloquemment le principe même du tsarisme, tel que le définissait le manifeste impérial du 16 juin 1907, ordonnant la dissolution de la première Douma : « Comme c’est Dieu qui Nous a octroyé Notre pouvoir suprême, c’est devant son autel seul que Nous sommes responsable des destinées de la Russie. » La seconde