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recommandant bien qu’on l’attendit pour donner à Mlle de Saillians une nouvelle dose, et en insistant sur la toxicité du remède. Odette considéra longtemps ce verre où la redoutable boisson avait un aspect d’eau inoffensive, et une lueur passait dans son regard, celle qui s’y était allumée, une demi-heure plus tôt, quand elle maniait le testament…

Il y a, dans l’assassinat par l’empoisonnement, un caractère de clandestinité qui en fait le crime par excellence de l’hystérie perverse. Certaines crises de déséquilibre nerveux, comme celle qu’Odette de Malhyver traversait, depuis ces quelques semaines et surtout ces dernières heures, amènent-elles des désordres qui équivalent à la dégénérescence mentale des grands anormaux ? Une troisième tentation l’envahissait, pire que la seconde, de même que celle-ci avait été pire que la première. Et déjà elle ne se révoltait pas contre une idée qu’elle n’aurait même pas imaginée comme concevable ce matin, cet après-midi. Déjà le forfait commis avait faussé en elle ce cran d’arrêt de la conscience qui suspend le travail de la pensée mauvaise. Elle se déclenchait dans cette âme coupable, cette pensée. Elle s’organisait en gestes qui la rendaient plus précise, moins indéterminée, moins lointaine. Impulsivement Odette s’était levée, comme auparavant pour rechercher le trousseau de clefs. Cette fois, c’était pour aller à la chemines et regarder le flacon à étiquette rouge. Le poison qui le remplissait avait, lui aussi, la couleur de l’eau. Le sinistre désir montait, montait, favorisé par une circonstance qu’il faut signaler pour être tout à fait juste. On l’a souvent remarqué : les périodes de guerre et de révolutions sont suivies d’une recrudescence d’attentats, comme si les troubles publics prolongeaient leur contre-coup dans les sensibilités privées. Ce phénomène s’explique très simplement. Les gens ont si souvent entendu parler d’épisodes tragiques, de violences, de malheurs, de morts, que leur imagination s’est habituée à considérer comme naturels des faits et gestes, si exceptionnels autrefois qu’ils en paraissaient monstrueux. Même des femmes très protégées par leur éducation et leur milieu contre une telle contagion, comme une comtesse de Malhyver, ne peuvent s’y dérober entièrement. Le mari d’Odette avait tué. Son amant avait tué. Ils le lui avaient raconté. Tuer dans le combat, en risquant sa vie pour son pays, n’a certes rien de commun avec un