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S’agit-il de dettes contractées par l’État pendant la guerre ? S’agit-il de dettes contractées depuis la guerre, pour assurer réellement l’exécution du traité de paix ? Je ne sais. Mais ces remboursements, quels qu’ils soient, sont faits par l’Allemagne à des Allemands, et si vraiment l’Allemagne est vaincue, comment paie-t-elle ses nationaux avant ses créanciers ?

L’ambassadeur d’Allemagne à Londres vient de faire connaître publiquement la véritable pensée de son pays : « Nous ne pouvons pas payer en espèces ; nous paierons en nature. » Remplacez « pouvons » par « voulons » et vous aurez toute l’explication du jeu. L’Allemagne n’entend pas seulement s’enrichir, comme tout bon débiteur, en payant ses dettes ; elle veut s’enrichir aux dépens de ses créanciers. Elle attend de nous que nous nous fournissions chez elle et elle espère chasser de nos provinces ravagées les produits de l’industrie française pour y placer plus aisément les siens. Le chef de la délégation française à Bruxelles, M. Seydoux, a été dans cette voie aussi loin qu’on peut y aller sans compromettre nos intérêts nationaux. Il a admis qu’on déterminerait, d’abord, les sortes de marchandises à livrer, qu’on en fixerait ensuite la valeur en argent et qu’on établirait enfin, sans passer par l’État, une liaison directe entre le preneur français et le vendeur allemand. Tout cela fait, on totaliserait les livraisons faites en nature et on se mettrait d’accord sur les paiements en espèces que l’Allemagne devrait effectuer ; il resterait donc, pour ces derniers, une marge encore incertaine ; mais ils ne seraient pas supprimés. A la vérité, ce sont eux qui doivent être la règle, et les paiements en nature ne peuvent être qu’un mode exceptionnel et transitoire. Les réparations ont-elles pour objet d’indemniser la France attaquée, envahie et dévastée ? Ont-elles été commandées par le traité dans l’intérêt des agresseurs ? La question est posée. C’est aux Gouvernements alliés d’y répondre.


RAYMOND POINCARE.

Le Directeur-Gérant : RENE DOUMIC.