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de Simrock. Tous reprochent aux gens d’outre-Rhin d’avoir à l’excès chargé de sensiblerie et encombré de dieux étrangers les légendes du Rhin, tous se plaignent d’une invasion du germanisme dans le trésor rhénan.


En face de cette dénaturation, reconnaissons que Victor Hugo eut bien son mérite à redonner leur vraie substance aux figures déformées de la légende rhénane. Contre son voyage du Rhin, les reproches sont justifiés, si l’on se place au point de vue de la réalité immédiate : se donnant tout entier aux vestiges du passé, il n’a guère voulu regarder les indices de la vie contemporaine. Mais dans le domaine de la légende, ce sont bien les figures préférées de l’authentique imagination rhénane que, presque rhénan lui-même, il a su discerner. Il arrivait sur le Rhin avec de mauvais guides, Schreiber, comme légendaire, Pfeflel et Lesueur comme historiens (que M. Berret a encore vus dans la bibliothèque de Guernesey), et pourtant à travers le fouillis, les branches parasites, il a retrouvé les linéaments des premières végétations. L’indépendance foncière ou les affinités occidentales du pays renaissent à son appel.

Peu importe s’il a inventé (fort spirituellement, ma foi) l’inscription latine du chevalier sans tête qu’il affirme avoir lue sur une tombe de la montagne, et s’il s’est livré à sa fantaisie dans le « conte bleu » qu’il composa sous les murailles du Falkenburg à la gloire du beau Pécopin ! Laissons ces crimes que lui reproche un écrivain allemand d’aujourd’hui. Son coup d’œil fut clair et droit. Il sut lire le paysage. Il ne s’embarrassait pas des préoccupations nationales ou philosophiques d’un Grimm ; il est allé librement aux choses. Ouvrez le Rhin, les Burgraves, et la Légende des Siècles, où Ratbert, les Chevaliers errants et même le grand chevalier d’Alsace, Eviradnus, reflètent des dispositions pareilles à celles que nous avons surprises dans l’imagination rhénane, et sont bien les doubles des compagnons de Charlemagne, des saints d’Irlande et de tous les civilisateurs que nous énumérions plus haut dans la légendaire du fleuve. Sa vigoureuse personnalité a arraché les traditions rhénanes à l’étouffoir du mythe germanique et du sentimentalisme d’outre-Rhin, pour les introduire dans la vie légendaire universelle. Son ignorance l’a peut-être servi, et, d’une manière plus certaine, son génie, naturellement apparenté avec l’esprit profond