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passé le Rhin en force. Elle s’installe, se carre dans les provinces rhénanes, et du même coup c’est une débauche de pierres. Les rois donnent l’exemple ; ce ne sont partout qu’ogives et créneaux moyenâgeux ; le prince Frédéric de Prusse reconstruit le château de Rheinstein ; le prince Guillaume, le château de Sonneck ; le roi Frédéric-Guillaume IV, le château de Stolzenfels : et nous savons, par l’exemple du Hoh Koenigsburg, ce que signifient, pour la fantaisie architecturale des Hohenzollern, des occasions comme celle-là !

Ainsi se transforment, d’une manière théâtrale et vulgaire, les vieilles silhouettes qui faisaient au-dessus du fleuve et sur tant de collines la parure caractéristique du pays rhénan. L’âme des ruines, du moins, je veux dire leur légende, subsistera-t-elle intacte sous les taillis de la forêt voisine ? Eh ! non, les pangermanistes de la tradition littéraire s’acharnent à la même besogne que les féodaux de la pierre taillée. Ils se sont donné pour tâche d’épurer et de compléter, bref, de réviser à leur gré le folk-lore rhénan. Reconstruction des légendes aussi bien que des châteaux. C’est l’heure de Grimm et de ses élèves.


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Quelle audacieuse ambition que celle du savant allemand Jacob Grimm ! Il ne veut rien moins que reconstituer la foi primitive et commune de toute la race allemande, et retrouver ainsi l’unité de l’âme germanique. Il veut restituer aux Germains leur mythologie perdue, en recueillir tous les vestiges à travers les croyances populaires, les superstitions et les contes du présent. Une foi d’apôtre le porte. Les vieux dieux du Nord ne sont-ils pas les plus beaux et les plus excitants des patrons ? La race allemande n’est-elle pas la race vertueuse et bonne, celle qui se tient le plus près de la divinité ? La Mythologie allemande de Grimm va être, pendant tout un siècle, le livre de chevet des mythographes allemands. Livre de chevet, c’est trop peu dire. Elle sera leur conscience, leur Bible.

A la suite de Grimm, une foule d’élèves zélés se préoccupent de retrouver dans les légendes rhénanes elles-mêmes les épaves religieuses de la vieille race païenne. Ces précieuses légendes, ils les débarrassent des apports qui, disent-ils, les déforment ou les troublent. Il s’agit que resplendissent sans alliage la grandeur et les vertus publiques du peuple allemand.