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le sait bien. Mme Huguet est déjà trop malheureuse de ne pas le voir arriver. Elle lui cherche des « protections » et pour lui en assurer, elle commettra, sans s’en douter, de petites lâchetés. Elle recevra une Mme Joulin qui a eu la vie la plus déréglée :

… Il ne faut point
Penser du mal des gens dont nous avons besoin ;

elle ira même jusqu’à conseiller à sa fille de ne pas se fâcher trop tôt devant les galanteries d’un fantoche qui peut aider à la fortune de son Philippe. Certes, elle mourrait avant que de la pousser à un adultère, mais

Il faut savoir parfois relâcher d’un principe :
Tu comprends bien qu’ici l’intérêt de Philippe…

Tout cela ne réussit qu’à demi. Le fils n’a pas complètement profité des leçons de sa mère : il lui est resté un peu de dignité : il refuse un mariage riche. Et c’est ici que se place une scène très belle dans laquelle Mme Huguet dit à son enfant toute l’angoisse de sa vie, et le malheur qu’elle veut lui épargner. Elle a des accents déchirants. Philippe ne sait ou ne veut lui répondre. Au dénouement, après une tentative malheureuse de gagner sa dot au jeu, il épousera sa cousine, grâce à la générosité de son beau-frère le cultivateur, dont il reçoit deux cent mille francs pour acheter une terre qui lui rapportera de beaux bénéfices. N’insistons pas. Un dénouement vaut ce qu’il vaut. Il signifie seulement que l’auteur n’a plus rien à dire, pour ce jour-là, sur ce sujet, et qu’il est temps de s’aller coucher, en réfléchissant à ce qu’on vient d’entendre.

Mme Huguet est une honnête femme et une tendre mère. Elle est coupable cependant, parce qu’elle a tout fait pour tuer une âme, mesurant à sa propre faiblesse la force de son fils, décidant tyranniquement de quelle façon il pouvait être heureux et lui imposant sa propre conception de la vie, conception qu’elle a, dans son orgueil, décidé la meilleure. Voilà le sujet superbe, admirable et nouveau. Les crimes d’une Olympe Taverny et d’une Séraphine Pommeau ne nous intéressent pas, mais la vue des crimes commis par les honnêtes gens nous torture le cœur, trouble notre esprit, parce que ce sont ceux que nous commettons. Jamais on n’avait jeté un regard plus pénétrant sur les consciences avilies par l’argent et conservant cependant une