Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/269

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saint-Georges, qui longe le quai de la Néwa, cinq ou six mille personnes sont réunies. Toute la Cour est en costume de gala, tous les officiers de la garnison en tenue de campagne. Au centre de la salle, on, a disposé un autel et l’on y a transporté l’icône miraculeuse de la Vierge de Kazan, dont le sanctuaire national de la Perspective Newsky est privé pour quelques heures. En 1812, le feld-maréchal prince Koutousow, partant pour rejoindre l’armée à Smolensk, a longuement prié devant la sainte image.

Dans un silence religieux, le cortège impérial traverse la galerie et se range à la gauche de l’autel. L’Empereur me fait inviter à prendre place en face de lui, voulant ainsi, me dit-il, « rendre un public hommage à la fidélité de la France alliée. »

L’office divin commence aussitôt, accompagné par les chants si larges, si pathétiques, de la liturgie orthodoxe. Nicolas II prie avec une contention ardente qui donne à son visage pâle une saisissante expression de mysticité. L’impératrice Alexandra-Féodorowna se tient auprès de lui, le buste raide, la tête haute, les lèvres violacées, le regard fixe, les prunelles vitreuses ; par instants, elle ferme les yeux, et sa face livide fait alors penser au masque d’une morte.

Après les dernières oraisons, l’aumônier de la Cour lit le manifeste du Tsar à son peuple, — simple exposé des événements qui ont rendu la guerre inévitable, appel éloquent à toutes les énergies nationales, imploration du Très-Haut, etc… Puis l’Empereur, s’approchant de l’autel, élève la main droite vers l’Évangile, qu’on lui présente. Il est encore plus grave, encore plus recueilli, comme s’il allait communier. D’une voix lente, courte et qui appuie sur chaque mot, il déclare :

— Officiers de ma Garde, ici présents, je salue en vous toute mon armée et je la bénis. Solennellement, je jure que je ne conclurai pas la paix, tant qu’il y aura un seul ennemi sur le sol de la patrie.

Un fracas de hourras répond à cette déclaration, copiée sur le serment que l’empereur Alexandre Ier prononça en 1812. Pendant près de dix minutes, c’est dans toute la salle un tumulte frénétique, qui se renforce bientôt par les clameurs de la foule massée au long de la Néwa.

Brusquement, avec son impétuosité coutumière, le